Le sac du palais d'ete
regarder l’étrange spectacle du ciel où l’orage menaçait. Au loin, des éclairs striaient d’épais nuages noirs dont les contours, le soleil n’ayant pas encore dit son dernier mot, s’ourlaient d’une fine couche de poudre d’or. Soucieux de ne pas être la proie de la foudre dont on disait que les pierres levées l’attiraient, il reprit sa route en allongeant la foulée.
Depuis Zhangzhou, pour se rendre à Shantou, trois jours de marche étaient normalement nécessaires, mais il avait mis deux fois moins de temps pour parcourir la distance et ne se trouvait plus guère qu’à deux heures de marche du petit village de pêcheurs. Même s’il appréhendait un peu, en raison des enjeux qui y étaient attachés, le moment où il retrouverait Pivoine Maculée de Rose, il avait hâte d’y être et, là, de trancher ce terrible nœud gordien qui l’empêchait d’avancer. Pour effectuer son choix, il avait décidé de laisser faire son instinct. Il s’en remettrait à ce qu’il ressentirait au moment où il serait face à elle. Au point où il en était, il n’y avait pas d’autre issue que de laisser parler ses sens car il avait davantage confiance en eux que dans son intellect.
Une légère odeur d’iode s’engouffra dans ses narines, amenée par les brusques rafales de vent qui faisaient ployer la cime des arbres. Le littoral ne devait pas être loin. On devinait sa proximité à l’arcature formée par les troncs de bambous harassés par la violence des vents maritimes et à l’absence d’aiguilles sur les branches des conifères qui faisaient face à l’océan. Il faisait plus sombre.
Son cœur se serra lorsque la route, soudain, déboucha sur le grand miroir plan de la mer embué d’une très légère gaze de chaleur, festonné par les ridules blanches des vagues, soutenu par l’ossature vigoureuse de la côte où l’on pouvait apercevoir les toits du petit village de pêcheurs.
La brusque vision de Shantou le fit songer aux douze mois qui s’étaient écoulés depuis le baiser furtif qu’il avait échangé, dans ces mêmes lieux, avec la fille de Joseph Zhong.
Cette très courte année lui paraissait n’avoir duré que quelques jours tellement elle avait été remplie – on aurait pu dire envahie… – par les gigantesques travaux de construction du dispensaire dans lesquels s’était lancé le père Monceau et qu’il n’eût pas menés à bien sans l’efficace concours de La Pierre de Lune.
Il faut dire que l’affaire n’avait pas été sans mal. Les autorités locales n’avaient cessé de mettre des bâtons dans les roues du lazariste qui, benoîtement, pensait qu’il était possible d’utiliser le terrain vague jouxtant son presbytère pour ériger son fameux hôpital.
Le jour où La Pierre de Lune s’apprêtait à faire donner le premier coup de pioche à l’escouade de terrassiers qu’il avait sous ses ordres, un petit homme barbichu s’était présenté, au nom du sous-préfet de Zhangzhou. Ce fonctionnaire chargé de l’application des lois foncières leur avait expliqué que, le terrain appartenant à l’administration, il était interdit d’y ériger la moindre construction sans l’autorisation expresse de celle-ci. Alexandre Monceau avait eu beau avancer au mandarin qu’il voulait y construire un équipement dont tous les citoyens profiteraient, celui-ci avait déclaré au fils caché de Daoguang, qui servait d’interprète au prêtre français, que faute de certificat d’urbanisme, la police interdirait l’entrée du terrain aux ouvriers.
— Tu vas dire à ton chef que je passerai outre ses directives ineptes ! s’était emporté le lazariste, sûr de son fait.
Avec tact, La Pierre de Lune avait bien essayé de lui faire comprendre qu’il risquait fort de ne pas sortir vainqueur d’un bras de fer avec l’administration locale, rien n’y avait fait.
— Je n’ai pas de leçons à recevoir ! lui avait rétorqué, d’un ton rogue, le jeune prêtre.
Dès le lendemain, face à la trentaine de policiers armés qui interdisaient l’accès à la friche, Alexandre, tout penaud, avait dû faire machine arrière. Les jours suivants, La Pierre de Lune l’avait aidé à rédiger un mémoire au sous-préfet sur les avantages que les habitants de Zhangzhou retireraient de la présence d’un hôpital où chacun pourrait être gratuitement soigné « au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Puis il avait soigneusement
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