Le sac du palais d'ete
Confrérie Interne du Turban Jaune. Et à ce sujet, il n’y a guère que toi qui puisses me renseigner, lui lança le chef Liang au moment où il commençait à sortir de sa torpeur.
— Si le Grand Jaune Centre devait croiser mon regard, il croirait que je suis un revenant ! souffla l’indic déjà sur son petit nuage.
— Laisse-moi rire, Wang le Chanceux ! Tu as plus d’un tour dans ton sac ! Le serpent qui entre dans un tuyau de bambou ne perd pas pour autant sa nature retorse ! lui rétorqua méchamment le chef de la police qui ne détestait pas remuer le couteau dans la plaie.
— Il me croit mort dans l’attaque ! Si je vais le voir, c’en est fini de moi !
Toujours Là, qui n’avait en tête que sa quête de La Pierre de Lune, décida d’intervenir à son tour.
— La Pierre de Lune… ce nom vous dit-il quelque chose ? lui lança le vieil eunuque.
— Et comment ! Je l’ai croisé à plusieurs reprises chez un Américain. Un dénommé Roberts. Il est pasteur baptiste et habite à la lisière du quartier des bouchers et de celui du Panier Jaune.
— Je suis moi-même à la recherche de La Pierre de Lune ! annonça Toujours Là.
— Comme le prince Tang ! poursuivit l’indic en lançant un regard suppliant au chef Liang qui, d’un petit clignement des yeux, l’autorisa à aspirer sa deuxième bouffée.
— Tu connais le prince Tang ? hurla l’eunuque qui s’était brusquement redressé sur sa chaise.
— J’ai même communiqué au chef Liang le nom de cette fille avec laquelle le prince Tang voyageait…
— Jasmin Éthéré ! fit Toujours Là qui avait retrouvé sa verve.
— C’est cela même.
Liang se tortillait sur sa chaise. Il s’était bien gardé de faire état à l’eunuque de la capture et de la fuite de la jeune femme, cet épisode peu glorieux risquant de nuire à sa carrière s’il devait être connu en haut lieu.
Le vieil eunuque, qui semblait avoir rajeuni de vingt ans, se tourna vers le policier. Toutes ces cachotteries du chef Liang ne masquaient-elles pas d’autres turpitudes ? Entre lui et ce petit flic à la mémoire sélective, la confiance était bel et bien rompue.
— Tang ! Vous savez où se trouve Tang et vous ne m’en avez rien dit ! éructa-t-il, hors de lui.
Liang rétorqua, l’air maussade :
— Hélas ! si je savais où se cache actuellement le prince Tang, mes hommes seraient déjà allés le chercher. Il était hébergé chez un antiquaire mais, lorsque nous nous y sommes rendus, l’oiseau s’était envolé !
Excédé par ce qu’il considérait comme une fort coupable désinvolture de la part du policier, le vieux castrat se tourna à nouveau vers l’opiomane.
— Accepterais-tu de me conduire chez ce pasteur américain ? Wang grimaça. Il voyait d’un mauvais œil tout ce qui pouvait ressembler à une collusion entre un indic et un eunuque.
— Je serais étonné que vous en tiriez quoi que ce soit. Cet individu est un illuminé. Il distribue ses brochures aux passants à l’entrée du Grand Jardin Public. Il croit que les gens savent lire ! Ces nez longs me font penser à des éléphants qui prétendraient tisser la soie ! s’écria Liang d’un air maussade.
L’irruption dans le bureau d’un policier en nage interrompit leur conversation.
— Un pli très urgent pour vous, chef Liang… et qui vient de très haut ! murmura l’agent qui peinait à reprendre sa respiration avant de tendre à son chef d’une main tremblante un rouleau frappé du sceau personnel de l’empereur Daoguang.
Les six caractères archaïques désignant l’Inestimable Fils du Ciel sous son nom de règne {9} s’affichaient en relief, parfaitement lisibles, sur le grand carré de cire rouge qui scellait le document en provenance du Palais Impérial. A cette vue, Toujours Là eut un léger frisson.
À l’aide d’une minuscule spatule, Liang décolla le sceau de cire et prit connaissance de la missive impériale. À la fin de sa lecture, son visage s’était décomposé.
— Il ne manquait plus que ça ! lâcha-t-il mystérieusement avant de refermer le document et de le fourrer dans le tiroir de son bureau. Puis il regarda l’eunuque d’un air bizarre, à la fois interrogatif et vaguement hostile.
— Que vous veut donc le Fils du Ciel ?
Toujours Là, persuadé que le Grand Chambellan continuait contre vents et marée à œuvrer à sa perte, subodorait encore un coup
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