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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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su ! Il lui aurait suffi d’en faire aspirer plusieurs bouffées d’affilée à Toujours Là et l’affaire eût été dans le sac : il l’aurait dépouillé en un tournemain avant de s’éclipser sur la pointe des pieds…
    Mais il n’était pas trop tard pour essayer, se dit Wang en regardant le vieil homme étendu et immobile comme une momie dans son sarcophage.
    —  Reprenez-en une bouffée moins forte. Cela vous calmera ! Ce qui n’est pas bon, c’est de se contenter d’une seule aspiration… expliqua Wang à sa victime en forçant le mince tuyau à passer entre les lèvres serrées et bleuies.
    —  Tu es sûr que cet homme va bien   ? hasarda un serveur qui venait de passer la tête dans le box, alerté par les gémissements de Toujours Là.
    —  Laisse-moi m’occuper de mon ami, ce n’est pas la première fois que je l’accompagne à la fumerie !
    Pour obliger sa victime à ouvrir la bouche, Wang lui pinça les narines. L’eunuque émit un râle lorsque son bourreau, d’un geste brutal, réussit à lui enfoncer la pipe jusqu’au fond de la gorge. Un énorme spasme secoua son vieux corps adipeux de la tête aux pieds. Son estomac déjà vidé ne rendait plus que ses sucs. Ses yeux révulsés ne répondaient plus aux signaux trompeurs de son tortionnaire qui lui tapotait les joues en murmurant :
    —  Aspirez-moi ça, aspirez-moi ça… L’opium guérit tous les maux internes…
    —  Je n’en suis pas si sûr… réussit à articuler l’eunuque à bout de forces.
    Le visage d’Élévation Paradoxale, son vieil ennemi, lui apparut soudain, ricanant comme le dieu des tempêtes lorsqu’il avale les navires. Fou de rage, il se redressa et essaya de lui balancer un poing dans la figure, mais celui-ci ne rencontra que le vide. Wang le fit se rallonger. Les yeux de l’eunuque sortaient de ses orbites, tandis que sa bouche ouverte cherchait désespérément de l’air. Quelques instants plus tard, une face lugubre apparut dans la pénombre du box et se pencha au-dessus de l’épaule de Wang.
    —  Le patron souhaite te voir ! lui souffla le serviteur dont l’haleine fétide lui fit détourner la tête.
    —  Que me veut-il   ?
    —  Je n’en sais rien. Suis-moi !
    Wang s’exécuta.
    —  Il faut payer tout de suite ta consommation de la nuit ainsi que la nouvelle dose de ton camarade ! La maison ne fait pas crédit ! lui dit le directeur, un petit homme au regard implacable dont les doigts sautillants manipulaient un boulier.
    —  Mon ami est plein aux as ! s’écria l’indic.
    —  Dans ce cas, dépêche-toi de faire passer la monnaie !
    Lorsque, en toute hâte, Wang le Chanceux revint auprès du Second Secrétaire de l’empereur Daoguang, il comprit, à la fixité de son regard ainsi qu’aux boursouflures de son visage devenu bleu comme une prune, que Toujours Là venait d’exhaler ses souffles. Alors, avec fébrilité, l’opiomane se rua vers le cadavre et se mit à palper les poches de sa robe brodée d’animaux bénéfiques qui disparaissaient sous les vomissures. Le charognard finit par y trouver ce qu’il cherchait et s’empara avidement de la bourse de soie où Toujours Là rangeait ses économies. Avec avidité, il se mit à compter les liang. Il y avait une bonne cinquantaine de pièces, en or, en argent et en cuivre, attachées les unes aux autres par une cordelette passée en leur centre. La vie était belle ! Cai Shen, le Dieu de la Chance qu’on accueillait chez soi la nuit du nouvel an en se gardant bien de passer le balai pendant deux jours afin de ne pas chasser son influence, lui voulait à nouveau du bien, après une longue éclipse : une fois réglée la facture de l’eunuque, Wang le Chanceux avait de quoi se payer au moins une trentaine de doses dans les meilleures fumeries de la ville !

 
    39
     
    Shanghai, 3 septembre 1847
     
    S’abandonner comme un cadavre…
    Le soir allait tomber et Freitas, qui marchait d’un pas lourd dans une rue défoncée par les pluies en évitant les flaques de boue et en prenant garde de ne pas se tordre la cheville, ne cessait de penser à la phrase que tout jésuite était tenu de prononcer lorsqu’il faisait vœu d’obéissance absolue à son ordre et à son chef suprême, le « Pape noir ».
    S’abandonner comme un cadavre…
    Ces mots terribles qui s’entrechoquaient dans sa tête comme des osselets illustraient le degré de soumission auquel Freitas s’était engagé lorsqu’il avait

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