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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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n’ont que moi pour les nourrir. Mes frères sont partis à la guerre.
    Sur-le-champ, Freitas avait embauché Châtaigne d’Eau et il n’avait pas eu à le regretter car elle s’était révélée, et de très loin, sa meilleure ouvrière. Sous ses doigts de fée, les brocarts et les failles se chargeaient de figures et de motifs arachnéens où se mêlaient motifs chinois et symboles chrétiens. Le résultat était saisissant. Freitas fournissait à la jeune femme des modèles d’ornements de chasubles et d’étoles qu’elle n’avait plus qu’à accommoder à son gré, n’hésitant pas à ajouter un masque de dragon aux ailes des anges ou des fleurs de lotus à la croix du Christ. Les chimères, les oiseaux phénix, les coqs de bon augure à crête rouge {14} et autres carpes de cent ans peuplaient des ornements liturgiques qui commençaient à être portés par certains cardinaux de la Curie romaine.
    Un soir où il s’était rendu à l’atelier pour y réceptionner un important stock de soieries, il s’y était retrouvé seul en compagnie de la belle ouvrière qui achevait de piquer une somptueuse étole de soie violette. Freitas, qui s’était abstenu de toute sexualité depuis son ordination, n’avait jusque-là connu que les rapports furtifs monnayés une misère auprès de vieilles prostituées de Lisbonne. La jeune brodeuse lui en avait paru d’autant plus attirante.
    —  Que fais-tu là   ? Ce n’est pas une heure pour être encore au travail ! lui avait-il lancé sur un ton enjoué.
    —  J’aime ce que je fais. Tant que je n’ai pas fini mon travail, je reste à l’atelier.
    Sur l’étole violette étalée devant la jeune femme apparaissaient déjà, brodées au fil d’argent, les figures des douze apôtres au milieu de lanternes de brûle-parfums suspendues à des nuages stylisés.
    —  De toutes mes ouvrières, tu es celle qui brode le mieux ! J’apprécie la façon dont tu sais mélanger ces motifs décoratifs chinois et les figures saintes de nos Évangiles.
    —  C’est grâce à vous, père Freitas, qui m’avez honorée de votre confiance en acceptant de m’embaucher ! Je me contente de faire à mon idée…
    —  Tu es modeste ! C’est une qualité. J’aime les gens modestes… avait-il bredouillé en se rapprochant d’elle.
    —  Sans vous, je ne serais aujourd’hui qu’une pauvre mendiante.
    Le Portugais, interloqué par tant de franchise, pouvait sentir l’odeur légèrement musquée du parfum dont Châtaigne d’Eau enduisait sa longue chevelure noire et brillante qu’elle relevait dans un chignon impeccable. Il lui avait pris la main. Aussitôt, elle l’avait serrée, sans la moindre gêne. Donnant, donnant. C’était irréel mais parfaitement explicable : la jeune Chinoise ignorait que les jésuites faisaient vœu de chasteté. De fil en aiguille, le Portugais avait commencé par lui caresser les cheveux puis les joues. D’elle-même, la belle ouvrière était venue se blottir contre son épaule. Puis ils s’étaient embrassés, dans la semi-pénombre de l’atelier silencieux et désert…
    Diogo de Freitas Branco, suffisamment lucide pour constater que ses ouailles s’intéressaient davantage à ce que les jésuites pouvaient les aider à mettre dans leur assiette qu’à l’apprentissage des Évangiles, souffrait de sa solitude ainsi que de la vanité de ses tâches apostoliques. Œuvrer dans un contexte de misère et d’indifférence finissait par user le plus aguerri des hommes. Le soldat de Dieu avait donc accepté le repos du guerrier et, dès le lendemain, les deux amants s’étaient unis dans l’atelier désert.
    Dix mois plus tard, une fille était née. Son père l’avait baptisée, quelques instants après qu’elle fut sortie du ventre de sa mère, alors que celle-ci était encore épuisée par les efforts de l’accouchement. Pour Freitas dont la foi restait chevillée au corps, ne pas donner le sacrement du baptême à son enfant eût été inconcevable.
    —  Que le Dieu tout-puissant te bénisse, je te baptise au nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint ! avait-il murmuré en faisant le signe de la croix au-dessus du front du bébé adorable et joufflu dont le corps tout bleu et sanguinolent venait d’être tiré de la matrice de sa mère par les mains expertes d’une matrone accoucheuse.
    Au bout de quelques mois, Diogo, embarrassé, avait été obligé d’expliquer à Châtaigne d’Eau que l’Église

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