Le sac du palais d'ete
ajouta Antoine Vuibert.
— C’est exact. D’ailleurs, je crois bien que je vais commencer par me rendre là-bas. J’en profiterai pour rédiger un rapport à Londres sur les circonstances exactes de la mort de ce pauvre Niggles.
— Est-ce bien raisonnable, mon cher Nash, de vous lancer dans une telle aventure alors même que vous ne parlez pas un mot de chinois ? Pour aller à Canton, la route est longue… objecta le consul.
Le comptable s’adressa à Antoine d’un ton suppliant :
— Monsieur Vuibert, si vous pouviez me trouver un interprète honnête et compétent, je vous en serais éternellement reconnaissant !
— Je n’ai pas de nom sous la main mais je vais y réfléchir.
Après avoir bu une dernière tasse de thé, Nash se leva pour prendre congé.
— Où allez-vous ? lui demanda le consul de France.
— Préparer mes bagages et rédiger un mémo pour Londres, que j’essaierai de remettre demain matin avant le départ du Puissant à son capitaine.
En réalité, il comptait bien s’affaler sur sa couche et tenter de faire un peu le ménage dans sa tête même si, tout bien réfléchi, le décès de Niggles changeait la donne tout en la simplifiant singulièrement…
Le départ inopiné de Stocklett jeta un froid entre les deux Français. Charles de Montigny mâchouillait son scone d’un air morne tandis qu’Antoine Vuibert, soudain désemparé, ne savait plus trop quoi lui dire. Au bout de dix minutes de silence, histoire de détendre l’atmosphère pesante, le jeune Dauphinois jugea opportun de faire part au consul de l’initiative qu’il avait cru bon de prendre au sujet du terrain.
— Monsieur le consul, il faut que je vous dise : j’ai trouvé un terrain pour la France… bredouilla-t-il sans la moindre entrée en matière et avant de vivement se reprocher sa maladresse.
— De quel terrain, grands dieux ! voulez-vous parler, mon jeune ami ? s’écria Montigny d’une voix irritée.
— Il s’agit du terrain destiné à notre implantation consulaire, monsieur le consul. Nous n’avons pas de bureaux. Il vous faudra songer à construire un consulat… comme celui des Anglais. Ils ont un bâtiment qui porte beau ! Le terrain en question appartient aux jésuites et il est fort bien situé. Voici l’acte que je me suis permis de signer pour bloquer cette excellente affaire.
Avec fébrilité, Antoine tendit à Montigny, dont la contrariété évidente s’affichait sur le visage, le double de la lettre d’intention qu’il avait signée au père Diogo de Freitas Branco. Le consul de France chaussa ses bésicles et commença à prendre connaissance du document par lequel la France, en la personne d’Antoine Vuibert dûment nommé, s’engageait à acheter le terrain à la Compagnie de Jésus représentée par le S.J. Diogo de Freitas Branco. Au fur et à mesure que Montigny le parcourait, Antoine, désemparé, voyait monter la colère dans le regard du consul dont les mains crispées sur la feuille se mirent d’un seul coup à trembler légèrement.
— Mais qui donc vous a autorisé à procéder à cet achat, mon jeune ami ? lança-t-il, vipérin.
— J’ai cru bien faire, monsieur le consul. Ici, la spéculation immobilière a pris de telles proportions qu’il est pratiquement impossible de trouver un terrain libre… articula le jeune Français cueilli à froid.
— Un fonctionnaire n’a pas le droit d’engager l’État sans le contreseing de son ministre ! Quand on manie des fonds publics, il faut respecter les procédures ! De surcroît, monsieur Vuibert, vous n’étiez pas mandaté, que je sache, pour vous lancer dans cette opération ! Si j’avais osé faire un coup pareil à M. de Lagrené, il m’eût congédié sur-le-champ !
— Ce terrain est fort bien placé, monsieur le consul. Vu la hausse du prix des terres ici, dans moins de cinq ans, selon le père Freitas, il vaudra le double de son prix actuel, tenta de plaider Antoine qui mesurait l’ampleur de sa bourde.
— Et combien en demandent vos jésuites, de ce terrain ?
La voix du Dauphinois tremblait d’émotion lorsqu’il répondit au diplomate :
— Trois cents livres-or, monsieur le consul…
— Mais c’est une somme astronomique, mon jeune ami ! Songez un peu que la dotation que m’accorde le département est de quatre cents francs-or pour une année pleine.
Montigny éructait au point que le maître d’hôtel s’était
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