Le sac du palais d'ete
à commander une autre bouteille de nectar pur malt, le Français l’arrêta d’un geste.
— Que puis-je faire pour vous ? J’ai envie de vous aider !
À ces mots, le visage de Stocklett, jusque-là hilare, se figea brusquement en même temps que son corps se raidissait à vue d’œil, comme s’il avait été piqué par un animal venimeux. D’un trait, le comptable avala un autre verre d’alcool avant de murmurer à son interlocuteur d’une voix pâteuse et infiniment triste :
— À vrai dire, je ne suis pas venu en Chine pour le seul plaisir d’inspecter les comptes de Jack Niggles… paix à son âme ! Je suis venu chercher une personne, ou plutôt deux. Deux orphelins qui sont arrivés à Canton avec leurs parents. Le père est mort à Londres et la mère en Chine !
— Quel âge ont-ils ?
— Ils sont si jeunes… songez un peu que la fille va sur ses seize ans et que le garçon vient d’en avoir treize… gémit l’Anglais dont les yeux se mouillaient de larmes.
— Puis-je savoir comment s’appellent ces personnes, cher monsieur ? Ici, les étrangers sont peu nombreux et tout le monde finit par se connaître… hasarda Antoine.
Nash Stocklett poussa un long soupir, comme le bourreau auquel il eût coûté infiniment de nommer ses victimes.
— Ces deux enfants ont pour nom Laura et Joe Clearstone.
En entendant ces patronymes, le sang d’Antoine ne fit qu’un tour.
— Laura Clearstone ! J’ai rencontré cette jeune fille !
— Où ça ? s’écria Nash, abasourdi, en bondissant de son fauteuil.
— A Canton, pardi !
— Pas possible !
— Sur la tête de mes parents, je vous le jure. Cette jeune fille m’a également parlé de son frère dont elle me laissa entendre qu’elle l’avait plus ou moins à sa charge…
— C’est exact. Le jeune Joe est affecté d’un certain retard mental. Depuis que leur mère, Barbara Clearstone, est décédée, Laura et Joe n’ont plus personne ici. C’est terrible ! Je dois absolument ramener ces deux orphelins à Londres. Quand je vois Shanghai et que j’imagine Laura et Joe traîner dans les rues de Canton, je n’en dors plus.
— Vous êtes de leur famille ?
— Pas vraiment. Je connaissais… euh !… très bien leur maman… à vrai dire, une femme extraordinaire… fantastique même !
À la façon dont Stocklett, qui sanglotait à présent comme un enfant, avait prononcé ces mots, Antoine n’avait aucun mal à comprendre la nature des liens qui avaient uni ces deux êtres.
— Je n’ai pas croisé Mme Clearstone, ajouta sobrement le Français.
— Puis-je vous demander dans quelles circonstances vous avez rencontré Laura ? s’enquit Nash, quelque peu ragaillardi.
Il achevait de sécher ses larmes en se disant que son équipée était somme toute moins folle qu’il n’y paraissait et qu’elle avait même quelque chance d’être couronnée de succès.
— Au mois de juin dernier, dans des circonstances plutôt mouvementées. Jack Niggles était là ! lâcha Antoine avant de détailler cette fameuse journée au cours de laquelle il avait rencontré Laura Clearstone chez les Elliott avant de se retrouver pris en otage par des pirates lors du dîner sur la Rivière des Perles tandis que Laura et Niggles avaient réussi à prendre la fuite.
Pendant qu’Antoine lui racontait son équipée, Nash lui servit un autre verre.
— Si je comprends bien, vous l’avez échappé belle ! s’exclama le comptable quand Antoine eut achevé son incroyable récit. Lorsque leur mère est morte, les deux enfants étaient hébergés chez un pasteur baptiste du nom de Roberts. C’est chez lui que je compte bien me rendre au plus vite.
— Si cela peut vous être d’une utilité quelconque, je pourrais vous accompagner jusqu’à Canton ! s’écria Antoine, désormais incapable de s’extraire de son fauteuil.
— Vous êtes vraiment certain que M. de Montigny n’aura pas besoin de vous ? lui demanda l’Anglais entre deux hoquets.
— C’est moi qui ne souhaite pas collaborer avec lui. La carrière diplomatique n’est pas faite pour moi !
— Qu’en savez-vous ?
— Je suis trop indépendant. Trop rebelle !
— Dans ce cas, c’est avec joie que j’accueille votre proposition, mon cher Antoine Vuibert. Quelle chance fut la mienne de vous avoir rencontré ! Trinquons à la vie et à la mort, s’il vous plaît !
Les deux hommes firent
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