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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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cessé de l’aimer.
    Le Grand Chambellan de l’empereur, en revanche, n’avait pas fait la même analyse que son maître. Dès qu’il avait eu vent de la menace d’Irina, il s’était aussitôt mis à l’œuvre, remuant l’entourage dont il n’avait pas eu grand mal à provoquer l’ire en leur décrivant par le menu les conséquences des révélations de la Sibérienne. Selon les codes immémoriaux, dévoiler l’intimité de l’empereur était passible de la peine de mort. Toute la Cour s’était mobilisée. De la première concubine aux ministres, en passant par les eunuques, chacun craignait la perte de face – ce crime irréparable – qui menaçait le Fils du Ciel si l’impudente Russe n’était pas rapidement neutralisée. Une implacable machine à tuer s’était mise en marche et, lorsque la mère de La Pierre de Lune avait quitté Pékin pour se rendre à Canton, la police secrète était déjà à ses basques, observant le moindre de ses gestes.
    Ce départ inopiné avait précipité les choses. Déchaîné contre cette empêcheuse de tourner en rond, Élévation Paradoxale, trop heureux par ailleurs de régler son compte à Toujours Là, avait répandu l’ordre d’éliminer Irina Datchenko pour « crime d’atteinte à la sûreté de l’État », une qualification pénale fourre-tout fréquemment utilisée par les régimes autoritaires volontiers adeptes, en l’espèce, de l’adage « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage… ».
    Il est tellement plus simple de coller des crimes sur le dos de ceux qu’on veut éliminer !
    Et c’est ainsi que le zélé chef Liang, tout à son désir de plaire en très haut heu, avait cru bon de livrer à l’empereur en personne tous les détails, y compris les plus sordides, de l’exécution de la malheureuse.
    Alors que la Sibérienne se rendait pour la seconde fois au Club des Anglophiles, un endroit où « pullulaient les journalistes occidentaux », les hommes de Liang, conscients qu’il fallait « à tout prix l’empêcher d’entrer dans ce lieu à nez longs », avaient commencé par ceinturer la femme russe appelée la « Sibérienne », puis ils l’avaient fait tomber à terre avant de « serrer son cou jusqu’à l’étranglement » et de la tuer « d’un coup de couteau porté en plein cœur ». Toujours selon le policier, un nez long anglais avec lequel elle était entrée la veille au Club et qui continuait à rôder dans les parages avait bien essayé de s’interposer. Les policiers avaient d’abord cru qu’il s’agissait d’un espion, vu la quantité de dessins représentant les jonques de guerre du port de Canton dont sa sacoche était remplie. À l’issue d’un interrogatoire poussé, l’intéressé avait admis être dessinateur de presse et travailler pour un périodique illustré londonien dont il avait sur lui un exemplaire que Liang avait jugé utile de joindre à son rapport « afin que Sa Majesté pût en prendre connaissance ». Le journaliste en question ayant assuré aux hommes de Liang qu’il connaissait à peine la Sibérienne et qu’elle ne lui avait rien dit de spécial, la veille, ils l’avaient laissé repartir libre. Le corps de la femme russe avait été enroulé dans une couverture et jeté dans la Rivière des Perles conformément aux instructions reçues.
    Face à cette issue tragique qu’il n’avait pas voulue, le Fils du Ciel mesurait le caractère rigide, implacable, inéluctable, de la machinerie du pouvoir dont le rouage central, c’est-à-dire lui-même, ne pouvait que suivre le mouvement général. Le système l’avait bel et bien dévoré : quoique tout-puissant empereur de Chine, il n’avait pas été en mesure d’empêcher le meurtre de la seule femme qu’il avait vraiment aimée !
    D’un pas lourd, il s’approcha de l’érable nain offert à son aïeul Qianlong par l’empereur du Japon où cet arbre pluriséculaire avait rang de dieu vivant. Avec ses faux airs de vieux lutteur, ce petit végétal rabougri possédait un tronc noueux et des branches torturées qui faisaient l’admiration de ses visiteurs, surtout à partir de septembre, lorsque ses minuscules feuilles se teintaient de reflets écarlates qui ne s’éteignaient qu’au début de l’hiver.
    Comme s’il s’agissait d’un animal de compagnie, Daoguang caressa sa cime griffue. Il aimait bien rendre visite à cet érable sacré devenu au fil du temps le complice muet et immobile des

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