Le sac du palais d'ete
visiteurs occidentaux lorsqu’ils les considéraient comme offensants ou déplacés…
— Sa Majesté vous remercie, fit ce dernier.
— J’ai une observation à faire à l’Inestimable Fils du Ciel, ajouta l’Anglais, raide comme un piquet.
— Faites donc ! miaula le dignitaire chinois, agacé par cette intervention imprévue.
— Nos compatriotes installés à Foshan font l’objet de vexations regrettables. Des femmes et des enfants ont été agressés par des habitants en furie ! La couronne britannique demande aux autorités chinoises de bien vouloir faire en sorte que ses ressortissants puissent aller et venir sans être inquiétés par cette populace excitée ni détroussés par les nombreux voyous qui hantent les rues !
Daoguang, qui avait jusque-là écouté les propos de son visiteur d’une oreille distraite, se pencha vers son interprète, lequel, contrairement à toute attente, traduisit in extenso et sans l’édulcorer la dure requête du gouverneur de Hongkong.
— Le Fils du Ciel fait dire à l’honorable gouverneur Davis que ce point ne figurant pas à l’ordre du jour de l’audience, il ne saurait être abordé ! L’audience est à présent terminée, déclara sans ambages le petit homme en rouge.
Sans le savoir, sir John venait de toucher un point sensible susceptible de faire perdre la face à l’empereur de Chine : le Fils du Ciel étant incapable de la moindre improvisation et n’ayant jamais entendu parler des incidents de Foshan, il lui était impossible de répondre. Daoguang sortit son mouchoir et le posa sur l’accoudoir de son fauteuil. À ce signal, deux mandarins cacochymes s’approchèrent à petits pas de l’Anglais et lui déclarèrent en chœur, dans un très mauvais anglais, avec des mimiques compassées et sur un ton infiniment obséquieux :
— Le Fils du Ciel doit à présent tenir le Conseil des ministres. Nous vous prions de bien vouloir gagner immédiatement la sortie, gouverneur.
Le gouverneur eût volontiers souffleté ces deux vieux singes, mais la crainte des suites de ce qui eût constitué sans nul doute un grave incident diplomatique le retint de passer à l’acte. À tout moment, le statu quo entre la Grande-Bretagne et la Chine pouvait tourner au vinaigre et dégénérer en affrontements sanglants. Davis dut se résoudre à repartir, furieux {30} , drapé dans sa dignité outragée et sans le moindre regard pour le Chambellan qui le raccompagnait jusqu’à la Grande Porte de la Cité Interdite.
A l’issue de l’audience, Daoguang, le regard vague, jugeant qu’il n’était pas d’humeur à s’occuper des affaires du pays, demanda sèchement au secrétaire du Conseil des ministres d’annuler la tenue de celui-ci. Désireux d’apaiser son esprit et son cœur, il avait décidé d’aller se promener dans son jardin d’agrément. Ce n’était pas dans ses habitudes. Il ne s’y rendait qu’à jour fixe, une fois par semaine, sous l’un de ses petits kiosques, pour y griffonner un poème ou y esquisser un dessin. La venue impromptue du Fils du Ciel fit l’effet d’une bombe auprès de la centaine de jardiniers préposés à l’arrachage à la pince de la moindre des mauvaises herbes susceptibles de pousser entre les gravillons des allées. Ces hommes, qui n’avaient jamais vu l’empereur de leurs yeux, n’osaient pas relever la tête ni même respirer lorsque le Fils du Ciel déboula sans crier gare. Mais Daoguang, imperturbable, semblait ne pas s’être aperçu de la présence de cette armée d’esclaves accroupie et immobile, complètement terrorisée par cette apparition.
Il est vrai que, ce jour-là, l’empereur de Chine avait la tête ailleurs.
Le cœur gros, il ne cessait de penser à « sa » Sibérienne. La nouvelle de sa mort continuait à l’accabler. C’était la première fois qu’il se sentait aussi affecté par la disparition d’une de ses concubines. D’ordinaire, il se contentait de faire envoyer à sa famille, à titre de consolation, une forte somme d’argent et l’épisode lui sortait de la tête. Elles étaient si nombreuses à être passées par son lit ! Sans compter qu’on lui trouvait toujours des remplaçantes, chaque fois plus jeunes et plus expertes. Avec stupeur, il avait découvert qu’au sein de la cohorte des femmes auxquelles il avait accordé ses faveurs, Irina avait un statut différent. Elle était l’exception. Elle seule lui avait résisté. Aucune autre
Weitere Kostenlose Bücher