Le sac du palais d'ete
bons et des mauvais jours. De lui, au moins, il n’avait pas à se méfier. Ce n’était ni un courtisan qui cachait son jeu ni un flagorneur par-devant et un comploteur par-derrière, encore moins un de ces mandarins Han perpétuellement courbés et souriants, quoique intimement convaincus que les Mandchous étaient d’infâmes usurpateurs. L’érable sacré ne pouvait parler, et pourtant le Fils du Ciel lui eût volontiers demandé s’il pouvait espérer qu’un jour quelqu’un mît la main sur La Pierre de Lune, cet enfant que personne en dehors de lui-même – mais encore fallait-il qu’il en eût la force ! – n’avait intérêt à voir reparaître un jour…
L’empereur de Chine considéra l’arbre sacré du Japon avec tendresse, comme s’il était La Pierre de Lune en personne, cet enfant qui avait été abandonné à son sort. Le reverrait-il ? Rien n’était moins sûr… Plus le temps passerait et plus la probabilité d’un tel événement deviendrait faible. Les chances que cet enfant lui succède étaient désormais infimes et le sang russe n’était pas près de couler dans les veines d’un empereur de Chine…
Lorsque, à la nuit tombante, Daoguang, tel un condamné à mort, regagna son cabinet de travail, il n’était plus tout à fait le même homme.
Pour la première fois, il venait de prendre conscience que le système dont il procédait avait eu raison de sa volonté intime.
Et qu’il n’était plus, de ce fait, maître chez lui.
48
Kunming, 29 décembre 1847
L’air vif et un ciel éclatant d’azur s’étaient donné rendez-vous dans la clairière au moment où le chemin étroit cessa de zigzaguer dans la pente forestière pour s’élargir brusquement, repoussant du même coup les arbres sur une distance de plusieurs mètres. Tang, que ses pieds endoloris faisaient horriblement souffrir, s’arrêta pour se reposer à l’ombre d’un grand sorbier. En dessous coulait un torrent dont il pouvait entendre, sans les voir, les eaux bondir sur la roche et fuir en cascades. Dès qu’il ôta ses chaussures, les cris des singes retentirent, tombant du royaume des arbres dont ils étaient les princes et où ils s’agitaient, tels des fruits vivants accrochés à leurs branches.
Kunming n’était plus qu’à une journée de marche et, malgré les courbatures qui faisaient de son corps une loque douloureuse, le fils de Prospérité Singulière était euphorique : son périple était en passe de s’achever.
Il avait hâte de rencontrer le prêtre Luang Fudong et ne pensait pas qu’il serait difficile à trouver. Il lui suffirait de se rendre à la pagode de la Dévotion. À coup sûr un jeu d’enfant, car tout le monde à Kunming devait connaître son emplacement, toutes les pagodes comportant au bas mot une vingtaine d’étages, ce qui permettait de les distinguer de très loin. Quant à Luang Fudong, même s’il ne savait rien de précis à son sujet, il était persuadé qu’il devait s’agir d’un bonze puisque tel était le nom qu’on donnait aux prêtres des pagodes.
En prévision de sa rencontre avec le moine Luang, Tang, qui n’était pas familier de la religion bouddhique, avait potassé divers manuels de méditation transcendantale et parcouru les principaux sermons du Bouddha ainsi que les récits de ses vies antérieures, les Jataka. Celles-ci étaient autant d’histoires édifiantes, plus belles et émouvantes les unes que les autres. C’est ainsi qu’une fois, le Bouddha avait été un lièvre blanc qui avait amené un chasseur assoiffé jusqu’à une source avant d’accepter sans sourciller de se faire tuer par cet homme. Des milliers d’années auparavant, il avait aussi connu la forme d’un petit singe qui s’était tué en faisant une cabriole après avoir donné un bol de miel sauvage à un autre Bouddha. Mais l’autre Bouddha avait eu pitié du gentil primate et fait en sorte qu’il se réincarnât en bodhisattva. Ces récits donnaient à espérer aux pauvres gens qui peinaient sur terre car, au cours de ses millions d’existence, il était arrivé au Bienheureux d’être un prince riche et beau mais également une pauvre souris en butte à tous les chats…
Après l’étude des Jataka, Tang s’était lancé dans l’étude du sutra de la Bonne Loi. Malgré sa bonne volonté de néophyte, il s’était penché pendant des jours et des nuits sur cet immense texte ésotérique sans y comprendre goutte. Il avait
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