Le sac du palais d'ete
passé des heures à méditer assis devant un mur nu, suivant les conseils d’un maître de la méditation transcendantale, dans l’espoir que l’Illumination viendrait, mais c’était toujours l’image de sa chère Jasmin Éthéré qui finissait par lui apparaître, après qu’il se fut échiné à faire le vide dans son esprit. La voie bouddhique lui avait paru un long chemin inaccessible, même s’il éprouvait une immense sympathie pour cet être d’essence divine qui prêchait à son prochain la compassion et le respect de l’autre. Pour Tang, inconsolable depuis le départ de celle avec laquelle il avait partagé le Heqi, la vie restait dénuée de sens. Il passait ses journées à se morfondre, en pensant à son père et à la femme aimée.
Et puis, un beau jour, à force d’errer sans but dans la maison vide de Prospérité Singulière, l’idée avait germé dans son esprit : il irait à Kunming afin d’y retrouver le moine Luang Fudong et là, il se ferait raconter cette histoire merveilleuse dont son père lui avait parlé juste avant sa mort. Tendu vers cet unique objectif, le fils de Prospérité Singulière avait avalé son périple vers Kunming comme une potion salvatrice.
Il avait choisi de se rendre à Kunming par le fleuve Bleu dont il avait remonté le cours sur une distance de près de deux mille huit cents kilomètres, jusqu’à Shigu. Le fleuve Chang Jiang était un dieu au caractère irascible, capable du meilleur comme du pire, devant lequel il fallait se montrer humble lorsqu’on était à sa merci. Les habitants qui peuplaient ses rives redoutaient ses terribles crues. Ce fleuve au débit énorme était capable de monter subitement de plusieurs dizaines de mètres, provoquant des inondations dévastatrices où les morts se comptaient par centaines de milliers. Mais Ce tueur implacable qui charriait les corps de ses victimes gonflés comme des outres, était aussi le fleuve nourricier dont on venait pieusement puiser les eaux le jour du nouvel an, celui dont les poètes et les peintres ne se lassaient pas de décrire les falaises abruptes, les délicats manteaux vaporeux dont il se couvrait le matin et le soir, les arcs-en-ciel dont il parait les somptueux paysages de ses rives ainsi que les noirceurs ombrageuses striées par les éclairs quand l’orage éclatait.
Au fur et à mesure qu’on remontait vers sa source, les contraintes de la navigation obligeaient les bateaux à rapetisser. De plus en plus effilés et fragiles, ils devenaient des proies faciles pour le prédateur aquatique tandis que leurs passagers, pour l’essentiel des marchands et des aventuriers, affichaient des mines grises, épuisés par le manque de sommeil et l’impossibilité de garder la moindre nourriture tellementleurs coques de noix étaient secouées.
Tous ces dangers, Tang les avait affrontés de façon impavide, sans y prendre garde, tellement il était obnubilé par l’histoire que son père n’avait pas eu le temps de lui raconter. Lorsque, à l’entrée des impressionnantes gorges du Saut du Tigre dont les sommets culminaient à quelques 3900 mètres au-dessus du niveau de l’eau, les hurlements de joie de ses compagnons de voyage, tout heureux d’avoir atteint Shigu sans se rompre le cou, s’étaient élevés vers le ciel, c’est tout juste s’il les avait écoutés d’une oreille distraite. De même, c’était sans s’arrêter qu’il était passé devant le « Tambour de Pierre », une belle plaque de marbre en forme de tambour qui commémorait la victoire du peuple Naxi {31} contre les Tibétains au XVIe siècle et avait donné son nom à la petite ville. Le reste du voyage avait été à l’avenant, rude et fantasque comme sait l’être la nature lorsque l’homme ne l’a pas encore domptée et qu’il s’y aventure. Ses fesses et ses pieds endoloris pouvaient en témoigner. Il avait parcouru à cheval d’immenses plateaux herbeux avant d’abandonner sa monture lorsqu’il avait atteint les premiers contreforts montagneux dont il avait gravi à toute allure les chemins étroits et escarpés. Par tous les temps et quel que soit le terrain, il avait cheminé comme un automate, dents serrées et les yeux dirigés vers le sol pour éviter de se tordre les chevilles ou de se rompre le cou, sans jamais abandonner son rythme effréné.
Quand l’homme recherche sa propre vérité, il est capable de marcher autant qu’il le faut pour la trouver.
Au détour du chemin,
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