Le sac du palais d'ete
déliquescent, semblaient s’être donné le mot. Le monde entier se pressait désormais aux portes de la Chine. Anglais, Français, Poméraniens, Américains, Belges, mais aussi Suédois et Norvégiens… chaque fois la même farce se répétait. Les consuls et les plénipotentiaires étrangers commençaient par faire allégeance au Fils du Ciel, en le soûlant de belles paroles quant à l’admiration que leurs rois et leurs dirigeants vouaient à la Chine. Mais ce n’étaient là que des discours de pure façade. Dès qu’ils sortaient de la Cité Interdite, une fois effectuées leurs courbettes rituelles, les mêmes diplomates étrangers n’avaient qu’une hâte, c’était de tirer le meilleur parti de l’immobilisme de la bureaucratie mandchoue pour implanter dans les ports francs leurs maisons de commerce et extorquer aux autorités locales le plus d’avantages possible, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes qui n’aboutissaient que rarement dans les caisses impériales…
Avec Davis, il était prévu que le Fils du Ciel évoquât le statut de l’archipel des îles de Zhoushan, un point stratégique essentiel pour la défense navale chinoise qui avait fait l’objet, au mois d’avril de l’année précédente, d’une convention spéciale : les Anglais s’étaient engagés à l’évacuer après paiement par la Chine de la totalité des indemnités de guerre prévues par le traité de Nankin. Les sommes en question ayant été versées, Davis venait porter à Daoguang le document attestant de la restitution de ces morceaux de terre qui émergeaient de la mer de Chine et dont beaucoup de nostalgiques du premier empereur de Chine pensaient qu’il s’agissait des célèbres « îles Immortelles » si chères au cœur de Qin ShiHuangdi.
Lorsque le gouverneur de Hongkong, revêtu de l’habit de cérémonie des ambassadeurs de Sa Majesté Victoria, fit son entrée dans la salle d’audience, c’est à peine si le Fils du Ciel lui jeta un regard.
Les relations diplomatiques entre la Chine et les puissances occidentales relevant du concours de lutteurs de foire où chacun, avant de se mesurer au combat, se présentait sous son meilleur jour pour mieux impressionner l’autre, l’Anglais s’était fait accompagner d’une suite nombreuse. C’est ainsi que pour faire masse, face à la pléthore de mandarins, d’eunuques et de gardes qui entouraient le Fils du Ciel, Davis s’était adjoint la totalité de ses secrétaires de chancellerie dont certains, encore plus joufflus et rouquins que les autres, paraissaient à peine sortis de l’adolescence. Ne reculant devant aucun moyen, le gouverneur britannique avait aussi enrôlé de force son médecin personnel ainsi qu’un expert géomètre et même un ingénieur hydrographe de la marine ! Tout ce petit monde assistait pour la première fois aux ballets étranges et compliqués d’une audience impériale et regardait d’un air amusé, parfois condescendant ou encore effaré, ces Chinois et ces Mandchous costumés et grimés comme des artistes de cirque. Le contraste était saisissant entre le sérieux des hôtes impavides qui déroulaient comme si de rien n’était leurs immuables rituels obscurs et le voyeurisme quelque peu cynique de leurs visiteurs qui riaient sous cape devant ce grand bazar gesticulatoire où ils ne voyaient que simagrées dérisoires et courbettes insignifiantes.
À peine les Anglais installés devant l’estrade impériale, le Grand Chambellan fit signe au préposé au gong de frapper ses trois coups puis déclara l’audience ouverte. Davis se leva et, après avoir accompli la courbette rituelle ketou de mauvaise grâce puis s’être raclé la gorge, déclara au Fils du Ciel d’une voix ferme :
— Conformément à ses engagements, la couronne britannique a le plaisir de vous restituer Zhoushan ! Voici le document. Je l’ai signé, il ne reste plus qu’à y apposer le sceau impérial.
L’interprète traduisit et l’empereur lâcha à son tour trois mots à l’interprète de service, un mandarin chétif entièrement vêtu de rouge, qui les répercuta au Grand Chambellan. En raison de l’obstacle de la langue, toutes les audiences officielles prenaient l’allure de ce va-et-vient long et besogneux entre un émetteur et un récepteur qui ne pouvaient se parler qu’indirectement, c’est-à-dire sans fiabilité réelle, les traducteurs chinois n’hésitant pas à modifier le sens des propos des
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