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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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maintenant ?
    — À me reposer, dit Volodia.
    — Très bien. Moi, je suis obligé de sortir.
    — Encore ?
    — Oui. J’ai une affaire en train.
    — Quelle affaire ? demanda Volodia en se levant de table.
    Kisiakoff lui pinça l’oreille :
    — Petit curieux ! Mais tu n’es plus un enfant, à dater d’aujourd’hui. On peut tout te dire. Tu n’ignores pas que j’avais dépensé la majeure partie de ma fortune pour offrir à ta mère une existence digne d’elle…
    Volodia sursauta et regarda Kisiakoff avec indignation :
    — Tu veux dire que ma mère s’est ruinée et m’a ruiné pour toi !
    — Anathème ! s’écria Kisiakoff en ouvrant les   bras   comme pour sauter dans le vide. Anathème ! Que le ciel s’écroule, si tu dois continuer à penser ainsi. Olga Lvovna martyre aimée de Dieu, ferme-lui la bouche. Le jour de son anniversaire ! Avec notre médaillon dans sa poche. Oh ! orthodoxe, ce n’est pas bien. Tu me blesses.
    Volodia alluma une cigarette et poussa un jet de fumée vers le plafond. Kisiakoff, s’étant calmé, sourit et poursuivit d’une voix douce :
    — D’ailleurs, tout cela n’a aucune importance. Ce sont de vieilles histoires que nous ne devrions plus évoquer. Les résultats seuls comptent. Et quels sont-ils, les résultats ? Tu me coûtes cher, très cher. Ma propriété de Mikhaïlo ne me rapporte rien. Il est temps de trouver une source de revenus honorable.
    — Tu vas travailler ?
    — Non, racheter une affaire. Une petite affaire qui roule toute seule. Je suis sur plusieurs pistes. On me parle notamment d’une typographie en état de marche, à Pétrograd. Pourquoi pas, hein ?… Je laisserais le directeur sur place. Ça ne te dit rien ?
    — Si tu crois que c’est utile…
    — Très utile, mon caneton.
    Suivi de Kisiakoff, Volodia pénétra dans sa chambre et s’étendit de tout son long sur le lit.
    — Veux-tu que je te rapporte des bonbons ? demanda Kisiakoff.
    — Non.
    — Quoi alors ?
    — Rien.
    — On pourrait demander à Marina de venir t’égayer un peu. Elle s’est habituée à toi. Elle n’est pas maladroite.
    Il plissa un œil :
    — C’est bon pour la santé. À moins que tu ne préfères changer ?
    — Elle ou une autre…, murmura Volodia.
    — Tu as raison. Optons pour Marina. Elle sera folle de joie. Surtout que son frère a été tué la semaine dernière, sur le front. Il faut la distraire, la pauvrette.
    Il soupira de toute la poitrine, souffla dans sa barbe et dit encore :
    — Ah ! quels temps, quels temps nous vivons, Seigneur miséricordieux !
    Quand il fut parti, Volodia tira le livre qu’il avait caché nous son oreiller. C’était un roman traduit du français. Il en parcourut quelques pages et le laissa tomber avec lassitude. Derrière les vitres s’amoncelait un brouillard bleu et fade. De la lumière brillait aux fenêtres de la maison d’en face. Volodia eut envie de réfléchir à des choses graves et définitives. Mais son esprit ne lui obéissait pas. Couché sur le dos, il contemplait le plafond avec insistance. Au bout d’un moment, il sortit le médaillon de sa poche, regarda la photographie qui représentait sa mère, et se mit à pleurer.

III
    Deux sentinelles allemandes surveillaient les trente prisonniers chargés de déblayer la route, rendue impraticable par les bourrasques de la veille. Avec un geste sec, Michel plantait sa pelle dans le tas de neige, jusqu’au manche, la retirait lentement, et un cube farineux se détachait des bords. Alors, d’un mouvement de reins, il jetait sur le remblai ce volume de poudre scintillante et fichait de nouveau le fer noir et humide dans la couche blanche qui recouvrait le sol. Cet exercice entretenait dans son corps une chaleur agréable. Il ne sentait plus le froid à travers ses vêtements minces et déchirés. Sa blessure même ne le faisait guère souffrir, malgré la violence de l’effort et la rigueur de la température. Après avoir souhaité périr, coûte que coûte, il s’émerveillait encore d’avoir été si facilement sauvé. Au cours de sa convalescence, dans un hôpital allemand voisin de la ligne de feu, il avait compris que l’existence était un dépôt sacré contre lequel toute tentative prématurée était illusoire. Il y avait une heure fixée pour la mort de chacun, et son tour

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