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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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un silence.
    — Oui, dit Ostap, lorsque la guerre sera finie, le bonheur fleurira pour tous. Mais quand finira-t-elle ? Paraît que ça tourne mal. Les nouveaux soldats ne veulent plus marcher. Ce sont des gamins ou des vieux. On leur tape dessus et ils reculent…
    Il expulsa un soupir violent, et Michel entendit craquer la paillasse.
    — Tu vas dormir ? demanda-t-il avec tristesse.
    — Eh oui, croyant, je vais dormir. Qui dort ne pense pas. C’est écrit dans la Bible.
    Bientôt, un ronflement nasal s’éleva en vibrant de la couche d’Ostap. Tout autour, dans les ténèbres froides, des respirations engorgées, des clapotis de salive, des poux, des raclements, travaillaient les corps assoupis. Une odeur de latrines, de sueurs fétides et de cuir occupait l’espace. Entre les planches du toit scintillaient des effilochures de lumière neigeuse. Le pas de la sentinelle se rapprocha, hésita devant la porte, et s’enfonça plus loin, dans la nuit. De nouveau, un train siffla. Un homme parlait en rêve. Puis, il se tut. Les yeux grands ouverts dans l’obscurité, Michel songeait à l’avenir.

IV
    Le 15 décembre 1916, Akim apprenait simultanément sa nomination au grade de lieutenant-colonel (14)  et la réception du manifeste impérial adressé aux armées de terre et de mer. Dès le lendemain matin, les chefs d’escadron donnaient lecture à leurs subordonnés de ce document qui affirmait la résolution du tsar de poursuivre la guerre jusqu’à la victoire finale, d’annexer Constantinople et d’accorder l’indépendance au futur État polonais. Après les discours pessimistes qui avaient marqué la dernière réunion de la Douma, Akim était heureux de cette mise au point officielle qui éclairait les troupes sur leur devoir et leurs chances de succès. Ces déclarations étaient d’autant plus nécessaires que, depuis quelques mois, les hussards d’Alexandra éprouvaient une crise collective de découragement. Le service monotone des tranchées déplaisait à ces cavaliers qui, loin de leurs chevaux, se jugeaient employés contrairement à leur compétence. De nouvelles instructions enjoignaient de verser dans d’autres formations les hommes privés de monture ou portés en surnombre sur les états. Déjà, quelques camarades avaient été mutés en vertu de cet ordre qui consacrait la faillite de la cavalerie dans la guerre moderne de position. Il était question, même, de diminuer le nombre des escadrons et de céder la plupart des chevaux à l’artillerie de campagne qui en avait besoin. Les officiers étaient maussades. La conscience de leur inutilité apparente, l’inaction où on les maintenait, les informations politiques que rapportaient les permissionnaires, concouraient à créer une psychose d’inquiétude et de mécontentement.
    Il y avait dix jours environ que les hussards d’Alexandra tenaient cette berge de la Duna, entre Friedrichstadt et Jacobstadt. La rivière coulait en contrebas des tranchées. De l’autre côté de l’eau se trouvaient les positions allemandes, dont les canons se réveillaient parfois pour éventrer le paysage à grands coups de masse. La semaine passée, on avait craint une attaque aux gaz. Mais il s’agissait d’une fausse alerte. La veille, quatre hommes avaient été tués par un obus. Aucune opération n’était envisagée pour les jours à venir. Cependant, Akim redoutait toujours une tentative de percée dans son secteur. Il faisait déplacer fréquemment les mitrailleuses de l’escadron, pour déjouer les plans de l’ennemi. Comme la nuit tombait, il sortit de son abri, afin de vérifier si les hommes avaient bien exécuté ses consignes.
    Dans le ciel bas et gris nageaient des loques de nuages jaunâtres. Au-delà du parapet de neige, une pente abrupte, hérissée de branchages noirs, menait à la rivière. Sur l’autre versant, la terre blanche était biffée par le zigzag des fils de fer barbelés, peignée de pistes étranges, soulevée d’épaulements boueux. Cette traînée de salissure indiquait la présence des hommes. Le silence n’était troublé que par le bourdonnement lointain d’un moteur et le cri funeste des corbeaux.
    Le visage saisi par le froid, Akim longeait le boyau vaseux, marqué, de place en place, par des guetteurs aux formes lourdes derrière leurs boucliers de tir. Il se sentait las et

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