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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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qui se moque de vos idées et n’agit que par intérêt, vous n’avez rien à craindre. Je m’étonne que vos amis de Moscou et vous-même, qui êtes intelligents, n’ayez pas encore compris quelle sécurité vous offrait mon manque total de conviction révolutionnaire.
    Le visage de Rébiatoff se détendit dans un sourire méprisant.
    — Quelle est donc votre théorie politique ? demanda-t-il. Vous n’êtes ni pour le tsar ni pour nous.
    — Je suis pour moi, dit Kisiakoff en plaçant sa main ouverte sur sa poitrine.
    Rébiatoff haussa les épaules :
    — Après tout, dit-il, votre avis m’indiffère. L’essentiel est que vous accomplissiez ponctuellement le travail dont nous vous avons chargé.
    — Voilà enfin une parole sensée ! s’exclama Kisiakoff.
    — Mais je vous préviens : au moindre doute…
    — Je sais, je sais… Six balles dans la peau…, la corde au cou… Ah ! que la jeunesse est donc soupçonneuse !… Je viens à eux, la tête nue, la poitrine offerte, et voilà. Ce n’est pas bien…
    — Trêve de singeries, dit Rébiatoff.
    — Mère céleste ! De nouveau, il use de paroles acerbes. Ne peut-on être révolutionnaire tout en restant poli ?
    — Étant donné les services que peut nous rendre votre imprimerie, reprit Rébiatoff, les camarades estiment que vous devriez vous établir ici.
    — Pour quoi faire ? Moscou n’est pas loin. J’arrive dès qu’on m’appelle. Cette fois-ci, même, je n’ai pas attendu votre convocation pour prendre le train. Je savais que vous auriez besoin de moi. D’ailleurs, en mon absence, vous pouvez toujours compter sur le correcteur. Il est mon homme de confiance. C’est lui qui fait marcher la maison, qui tient les comptes…
    — Ce n’est pas suffisant. Qu’est-ce qui vous retient à Moscou ?
    — La vie y est moins chère. Je loge chez un ami…
    — Ce sont des questions secondaires.
    — Pour vous, peut-être…
    — Ne m’interrompez pas ! Après les fêtes, vous partirez pour Ekaterinodar, afin de rencontrer l’imprimeur Kreuz. Vous le connaissez ?
    — J’en ai entendu parler.
    — Vous mettrez donc au point avec lui un programme de publications clandestines pour le gouvernement du Kouban.
    — Mais c’est une mission de confiance, mon cher ! dit Kisiakoff en levant les sourcils.
    — Comme vous êtes originaire d’Ekaterinodar et que vous possédez une propriété aux environs de la ville, votre présence là-bas ne pourra pas éveiller de soupçons.
    — Je l’espère.
    — Dès que vous vous serez mis d’accord avec Kreuz sur l’impression des tracts, vous viendrez vous fixer ici. D’ailleurs, je vous donnerai des indications complémentaires avant votre départ. Pour ce qui est de la nouvelle proclamation sur Raspoutine, dans trois jours, un camion de la Croix-Rouge passera en prendre livraison. Vous délivrerez le paquet au chauffeur. Il collecte, soi-disant, des cadeaux de Noël pour les blessés.
    — Charmant subterfuge, dit Kisiakoff. Est-ce tout ?
    — Bien entendu, les formes seront détruites aussitôt après le tirage, ainsi que les épreuves.
    — Bien entendu.
    — Le papier vous sera remboursé, comme d’habitude. Je vous conseille de condamner la porte et d’éteindre les lumières inutiles dès le début du travail.
    — Je n’y manquerai pas.
    — Si nous continuons à être satisfaits de vous, nous oublierons que vous ne partagez pas nos idées.
    — Sinon ?
    — Allez chercher le correcteur. Je veux lui expliquer moi-même la mise en pages que je souhaite.
    Kisiakoff se leva en poussant un soupir laborieux. La chaleur du poêle avait enflammé sa figure. Ses yeux étaient injectés de sang. Il grogna :
    — Savez-vous qu’il m’est extrêmement pénible, sympathique monsieur Rébiatoff, de travailler dans ces conditions ? Votre défiance systématique me prive de tout courage. Quoi que je fasse, je me sens surveillé, jugé. À mon âge et dans ma situation, la chose est doublement incompréhensible. Je me demande parfois si nous ne ferions pas mieux de nous séparer.
    — Ne l’espérez pas.
    — Pourquoi ?
    — Parce que cette séparation ne se produirait pas à votre avantage. Vous en savez trop long.
    — Je ne sais rien, balbutia Kisiakoff ; et la chair de son visage se creusa de mille petites rides serviles. Rien. Presque rien.
    — Trop

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