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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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ont condamné l’incinération pour réagir contre les rites des Grecs païens. Mais nous ne sommes pas les premiers chrétiens. Nous sommes même, peut-être, les derniers chrétiens. Il est bon de croire aux dogmes essentiels de l’Église, mais non à des coutumes qui avaient leur utilité il y a vingt siècles et qui sont dépassées aujourd’hui. L’homme découvre, se perfectionne, va de l’avant. Je l’ai déjà expliqué au père Diodore. Il aura beau venir prendre le thé tous les jours à la maison, il ne me fera pas changer d’avis.
    — Ils sont déjà quinze à faire partie de sa société amicale d’incinération, dit Zénaïde Vassilievna. C’est du propre !
    Elle paraissait sincèrement indignée. Volodia l’envia de pouvoir se passionner pour un motif aussi dérisoire. Tandis qu’elle poursuivait ses lamentations et ses invectives, il regardait vivre, devant lui, ces deux personnages unis, vieillissants et, somme toute, heureux. Et il lui semblait, à les voir ainsi, simples et bons, occupés de leurs enfants, de leurs querelles, de leurs projets, que l’existence avait sa raison d’être et que l’homme n’était pas une manifestation absurde et condamnable de la nature. L’ingénuité, la paix de cette maison le baignaient comme une eau lénifiante. Il se laissait imprégner par cette douceur ancienne. Il mesurait son erreur. Car il avait choisi l’autre route. Quoi qu’il fît, désormais, il serait un étranger dans ces murs.
    Un parfum de petits pains chauds glissa dans le salon. Des pas coururent dans la pièce voisine. La porte vitrée s’ouvrit à deux battants :
    — C’est servi, madame.
    — Laisse-moi vivre à ma guise, Zina, dit Arapoff en posant un baiser sur les cheveux de sa femme. Tant que l’homme s’intéresse à quelque chose, que ce soit à l’élevage des chevaux, à la capture des papillons ou à la construction des fours crématoires, il est aimé de Dieu.
    Ils passèrent à table. Le père Diodore arriva sur ces entrefaites. C’était un prêtre d’une cinquantaine d’années, massif, rougeaud, avec de longs cheveux gris et lisses tombant sur les épaules, et une barbe de forme rectangulaire, retroussée au bout. Une élégante soutane lilas descendait jusqu’à la pointe de ses bottes. Après avoir béni ses hôtes et demandé des nouvelles de leurs enfants, il fit une courte prière et porta le verre de thé à ses lèvres.
    — Attention, mon père, vous allez vous brûler, dit Constantin Kirillovitch d’un ton malicieux.
    — Ces brûlures-là ne sont pas une offense à Dieu, dit le prêtre avec un regard significatif.
    Puis il sourit et demanda :
    — Comment se portent vos malades, honorable Constantin Kirillovitch ?
    — Je trouve qu’ils vont bien, et eux trouvent qu’ils vont mal.
    — Hé ! hé ! dit le père Diodore en tiraillant sa barbe. Vous êtes un plaisantin… Toujours la repartie, l’anecdote… On ne vous changera pas…
    — Non. On ne me changera pas.
    — Pourquoi dites-vous qu’on ne vous changera pas ?
    — C’est vous, mon père, qui avez dit qu’on ne me changera pas.
    — Mais vous l’avez répété avec un air…
    — Avec quel air ?
    — Avec l’air de quelqu’un qui a une idée dans la tête.
    Arapoff avala quelques miettes de gâteau dans le creux de sa main, remua les doigts et murmura en clignant de l’œil :
    — C’est exact. J’ai une idée dans la tête.
    — Je la connais, dit le père Diodore sévèrement. C’est une mauvaise idée.
    — Tu vois, Constantin ! soupira Zénaïde Vassilievna, en tournant le robinet du samovar pour emplir une seconde fois le verre du père Diodore.
    — Malheur à celui par qui le scandale arrive dans le monde, dit le prêtre.
    Et il agita furieusement sa cuillère dans le thé. Deux ou trois gouttes tombèrent sur la nappe. Le père Diodore les étancha avec son pouce.
    — Puis-je parler devant votre invité ? reprit-il.
    — Mais oui. Il est au courant de tout, dit Arapoff.
    — Vous n’en avez pas fait un de vos adeptes, j’imagine ?
    — Pas encore.
    Le père Diodore retroussa ses manches, s’appuya des deux coudes sur la table et s’écria d’une voix profonde :
    — Constantin Kirillovitch, une fois de plus, je vous prie de renoncer à votre propagande criminelle. Un homme aussi respectable que vous n’a pas le droit de

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