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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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autres…
    — Oui, oui, dit Volodia précipitamment. La guerre est une chose affreuse. Historiquement, moralement, elle est inconcevable. Je la refuse. Bien sûr, il n’est pas question de nier son existence sur le plan pratique, tu comprends ?
    — Non, dit Stopper.
    — Je veux dire, reprit Volodia, que je suis contre ceux qui respectent la guerre, qui voient en elle une nécessité.
    — Mais c’est une nécessité.
    — Sur le plan actuel, oui, mais sur le plan philosophique, métaphysique… On peut reconnaître l’existence d’une maladie sans l’élever au rang de fléau sacré…
    — Tu m’ennuies avec tes plans et tes fléaux, dit Stopper. Je suis trop fatigué. Pour moi, tout est plus simple : si un malfaiteur t’attaque, tu te défends.
    — Pas toujours, dit Volodia.
    — Tu te laisserais voler ?
    — Il vaut mieux, quelquefois, se laisser voler un peu d’argent, mais conserver la vie. Et puis, on peut raisonner un malfaiteur, lui faire honte de ses procédés.
    — Tu y crois, toi, à la douceur, à la persuasion ?
    — Oui.
    — Pas moi.
    — Tu étais plus intelligent dans le civil.
    — Oui, je crois que j’étais plus intelligent. Là-bas, on devient bête. Ce n’est pas désagréable, d’ailleurs.
    Une grimace douloureuse allongea son visage. Il laissa tomber sa tête sur l’oreiller.
    — Tu as mal ? demanda Volodia.
    — Par moments. Mais ça passe.
    — J’ai encore parlé de toi à qui tu sais, dit Ruben Sopianoff en touchant l’épaule du blessé. Il sera très facile de t’affecter à Moscou…
    Stopper baissa ses paupières minces et mauves. Un peu de sueur perlait à son front.
    — Qu’est-ce qu’ils penseront au régiment ? dit-il.
    — La belle affaire !
    — Je me suis fait des amis, là-bas. Il y avait un jeune Ukrainien, si drôle ! Je ne me rappelle plus son nom…
    Il parut très affecté de cet oubli et se tut d’un air mécontent.
    Volodia se demanda, un instant, s’il n’y avait pas eu substitution de personne, si ce blessé mélancolique était bien son ancien compagnon de plaisir, le joyeux, l’insouciant, le veule petit Stopper, instigateur des plus folles randonnées dans les boîtes de nuit et les maisons de jeu. Quelques semaines de guerre avaient tué dans cet être les dernières réserves de fantaisie. Il était pareil à tous les autres : usé, sage, souffreteux, simplifié…
    — Ah ! dit Volodia, il est temps que tout cela finisse. Si Tolstoï et Jaurès n’étaient pas morts, peut-être n’aurions-nous pas eu la guerre.
    Stopper ne répondit pas. Il cherchait encore le nom du jeune Ukrainien. Soudain, il s’écria :
    — Ah ! oui, il s’appelait Lossenko !
    Son voisin, un gros homme à la tête enturbannée de bandages, se tourna vers lui en riant :
    — Racontez donc à vos amis comment ce Lossenko a fait son premier prisonnier.
    — Je vous présente le lieutenant Mostoff, du 10 e  dragons de Novgorod, dit Stopper en désignant le blessé.
    Volodia se leva de sa chaise, tendit la main au lieutenant Mostoff et voulut dire quelques mots de politesse, mais aucun son ne sortit de sa bouche, et il demeura debout, stupéfié, le regard dirigé vers le fond de la salle. La porte s’était ouverte, et une jeune femme, vêtue d’un manteau gris perle, s’avançait à petits pas vers les lits. En apercevant Volodia, elle marqua une seconde d’hésitation, mais se reprit aussitôt et s’approcha du premier blessé avec un sourire tranquille. Penchée au-dessus de cet inconnu, elle lui parlait à voix basse et lui remettait un paquet enveloppé dans du papier blanc. Cependant, Volodia ne la quittait pas des yeux. Il s’attendait si peu à rencontrer Tania dans cette chambre d’hôpital, que, pris au dépourvu, il ne savait plus dominer son émoi. Une onde tiède montait de ses reins à sa nuque. Le sang battait, en éventail, derrière ses oreilles. Violemment, il se contraignit à réfléchir : « Cela devait arriver un jour. Devant les autres, elle ne refusera pas de me serrer la main. Donc, rien à craindre de ce côté-là. Pour le reste, je suis guéri. J’ai déchiré sa photographie. » Le souvenir de la photographie déchirée lui rendit un peu de calme. Il se rassit au chevet de Stopper et aspira profondément l’air fade et chaud de la pièce. Cela sentait la fièvre, les

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