Le Sac et la cendre
d’essayer de vous revoir. Ma seule excuse est la passion insensée dont je souffre. Je ne peux plus me passer de vous. Je ne peux plus vivre sans vous…
Tandis qu’il parlait, une chaleur délicieuse s’insinuait dans les veines de Tania. Son cœur fondait, sucré et lourd. Elle manquait d’air. Elle était heureuse.
— Et après ? dit-elle faiblement. En admettant même que vous soyez sincère…
— Je suis sincère…
— Je ne peux plus rien pour vous.
— Pourquoi ?
— Parce qu’il y a Michel.
Il se redressa un peu et sa tête toucha le plafond de l’auto :
— Quoi Michel ! Vous êtes trop raisonnable. Soyons fous. Oublions les autres. Pensons à notre seul bonheur…
Le regard de Volodia exprimait une prière hargneuse. Elle humait son souffle brûlant, parfumé de tabac. Contre son genou, elle sentait un genou dur, osseux. « J’ai le droit de vivre, pensa-t-elle. Agir comme il me plaît. Choisir celui que je veux. Lui ou un autre. »
— Que faut-il que je fasse ? dit Volodia.
Tania ne sut que répondre, car elle se posait la même question, pour son compte personnel. Comme elle gardait le silence, il reprit d’une voix sourde :
— J’ai envie de toi. Je me rappelle tout. Mon corps me fait mal…
Il l’avait saisie aux poignets et l’attirait contre sa poitrine. Elle eut un arrêt de respiration, un court vertige, comme si une porte se fût ouverte devant elle, sur le vide. Fermant les yeux, elle crut basculer, tomba à pic d’une grande hauteur. Des doigts impatients pétrissaient ses épaules. Une bouche humide s’imprima sur la peau de son cou. Elle poussa un cri et souleva les paupières. Au contact de ces lèvres, une brusque répugnance la secouait jusqu’au ventre. Mille vieilles caresses lui revenaient en mémoire. Tout le passé surgissait dans sa tête, avec la chambre de Volodia, le lit défait, les mensonges à Michel, la honte, la chaleur, le bourdonnement de la rue et la sonnerie du téléphone. Ce n’était pas l’esprit, c’était le corps de Tania qui refusait son assentiment à une nouvelle tromperie. Une décision physique s’imposait à elle, en dehors de toute raison. Dégrisée, elle se jeta en arrière, rompit l’étreinte de ces mains quêteuses.
— Quoi ? Qu’as-tu ? demanda Volodia d’un ton sec.
Elle le dévisageait avec angoisse, avec colère, étonnée elle-même de l’avoir suivi aussi loin. Comment avait-elle pu croire qu’elle l’aimait encore ? Il lui faisait horreur. Elle abhorrait l’odeur de sa bouche, la forme de ses ongles, la couleur de sa peau. Tout son être se hérissait à l’idée de frôler cette jolie figure. Elle aurait voulu l’écraser à coups de poing, la griffer, la souiller. Puis, soudain, elle eut l’impression que sa conscience venait d’échapper à la glu et qu’elle montait, qu’elle planait, pure et seule, au-dessus des hommes. Elle était fière d’elle-même. Elle prononça d’une voix tremblante :
— Laissez-moi…, partez…
— Mais, Tania…
— De quel droit… ? Comment avez-vous osé… ? Après tout ce qu’il y a eu entre nous… ! Vous, vous n’avez… enfin aucun sens moral… N’essayez plus jamais de me revoir.
Il lui sembla que le visage de Volodia s’affaissait, se dégonflait dans l’ombre :
— Tu es folle !… Il y a quelques instants…
— Dites à ce chauffeur de me ramener au théâtre, immédiatement.
— Non, dit Volodia. Tu vas m’expliquer d’abord…
Il avait le souffle rauque. Des larmes brillaient aux coins de ses paupières. Tania se pencha et frappa à la vitre de séparation. Le chauffeur acquiesça de la tête, descendit de l’auto et remit son moteur en marche à la manivelle. Puis, il remonta sur son siège et la voiture démarra. Les façades des maisons glissèrent derrière le profil de Volodia. Il répétait lamentablement :
— Qu’ai-je fait ? Que me reproches-tu ?
Murée dans sa résolution, elle le contemplait avec dégoût et serrait ses jambes l’une contre l’autre. Il dit encore :
— Qu’est-ce que je vais devenir maintenant ?
Elle répondit du bout des lèvres :
— Faites comme Michel. Engagez-vous.
À ces mots, il tressaillit et la considéra d’un œil égaré :
— Quoi ?
L’auto s’arrêta devant l’entrée du théâtre. Un triomphal apaisement s’était fait
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