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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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autour de Tania. Comme elle posait la main sur la poignée de la portière, Volodia murmura de loin, sans presque remuer la bouche :
    — Tout est fini, n’est-ce pas ?
    — Tout est fini, Volodia.
    Il poussa un soupir et ses épaules se voûtèrent.
    — Vous ne retournez pas au théâtre ? demanda-t-elle.
    Il fronça les sourcils :
    — Quel théâtre ? Ah !… non, je ne pourrais pas…
    Elle jeta un dernier regard à ce grand corps tassé devant elle, disloqué, vaincu.
    — Adieu, dit-elle avec une intonation un peu emphatique.
    Il ne bougea pas. Il l’examinait d’un air mauvais et bête, en découvrant ses dents. Elle sortit de la voiture et se dirigea vers le porche lumineux de La  Sauterelle .
    Ayant rendu son manteau au vestiaire, elle se mira dans une glace et se jugea belle et intimidante, malgré le bouton qui marquait sa joue gauche.
    Dans le hall du théâtre, un homme en habit était assis sur une banquette et fumait en observant le sol entre ses pieds. Lorsque Tania passa devant lui, l’homme se dressa et la salua, une main sur le cœur. C’était Kisiakoff. Que faisait-il, tout seul, dans le hall ? Irritée par cette rencontre, Tania inclina sèchement le menton et pressa le pas, en ayant soin de se tenir droite, à cause de ce faux pli qui déformait sa robe, dans le dos.

IV
    Volodia s’éveilla en sursaut et demeura longtemps immobile, regardant la nuit, écoutant le silence. Une lucidité fiévreuse le livrait corps et âme à l’attaque des souvenirs. Pour la centième fois, il revoyait un visage, percevait une voix sans les avoir appelés. La scène recommençait dans ses moindres détails. Et, à chaque reprise, les paroles et les gestes de Tania étaient plus nets et plus blessants. Après l’immense espoir qu’elle lui avait donné, son refus le plongeait dans une abominable tristesse. Il se demandait pourquoi il existait encore. Sa main aveugle rampa vers la table de nuit, palpa le marbre froid, atteignit le support de la lampe. La lumière jaillit, heureuse, rose, et tous les meubles surgirent, ponctuels et indestructibles, avec leur ombre posée devant eux comme un témoignage. Il fut accablé de vérité. Tout était vrai : les meubles et le refus de Tania. On ne pouvait pas plus nier le refus de Tania qu’on ne pouvait nier la présence des meubles. Derrière la porte de la chambre, Volodia entendit une toux grasse. Kisiakoff couchait sur le canapé du salon. Ayant appris la disgrâce de Volodia, il s’était offert spontanément à loger chez lui pour le soigner et le distraire. Or, Volodia redoutait, par-dessus tout, la solitude. Kisiakoff, se trouvant au courant des moindres détails de l’affaire, était un interlocuteur précieux. À lui seul, Volodia osait dire toutes les idées qui visitaient son esprit. Une inexplicable parenté d’opinions s’établissait ainsi entre les deux hommes. Ce n’était pas de l’amitié. Encore moins une estime réciproque. Quoi donc alors ?
    Volodia se recoucha sur le dos, essaya violemment de penser à autre chose. Mais son imagination ne lui obéissait plus et l’entraînait, à son insu, dans la direction défendue. Il ne voyait pas d’issue à son infortune. Incapable de vivre sans Tania, il ne savait que souffrir et se plaindre. Roulant la tête sur l’oreiller, il geignit un peu, les dents serrées, les yeux pleins de grosses larmes brûlantes. « Que faire ? » Sa dernière chance était la mort de Michel. Si Michel était tué, peut-être serait-elle trop heureuse d’épouser Volodia ? Il fallait que Michel fût tué. Et le plus vite possible. On tuait beaucoup depuis le début de cette guerre. Pourquoi les autres et pas Michel ? « Il disparaîtra. J’en nuis certain. Et moi… » Une sueur brusque lui sortit de la peau. Il frémit et regarda le fond de la pièce, où les ténèbres s’étaient réfugiées. Dans ce coin obscur, quelqu’un l’observait, le jugeait froidement. D’un geste téméraire, Volodia rejeta les couvertures et se leva. Les muscles de ses jambes fléchirent. Il chancela et se retint au montant du lit. Un chien aboya dans la rue. Un autre lui répondit. Volodia se retourna d’un bloc, comme si un ennemi se fût dressé subitement dans son dos. Sa mâchoire inférieure tomba et il resta la bouche béante, considérant les murs mauves, pavés d’estampes

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