Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
Vom Netzwerk:
elle.
    — Comment aimez-vous le spectacle ? dit-il. J’ai fait un tour dans les coulisses. Les acteurs sont inquiets. Ils craignent que le tableau de Cléopâtre…
    Une sonnette retentit et Tania dit promptement :
    — Voilà… il faut entrer…
    Comme elle franchissait le seuil de la salle, Volodia chuchota :
    — Entre deux tableaux, prétextez un malaise et revenez dans le hall. Je vous attendrai.
    Tania ne répondit pas et se hâta de regagner sa place.
    Une douleur inconnue lui tirait le cœur par saccades. L’obscurité soudaine l’engloutit. Elle était seule. Elle tremblait. Eugénie Smirnoff consultait le programme :
    — Aubade villageoise.
    — Je ne me sens pas très bien, dit Tania. Je vais prendre l’air…
    — Veux-tu que je sorte avec toi ?
    — Non, non, quelle sottise !
    Mais déjà, le rideau se levait sur un décor champêtre.
    — Attends la fin du tableau, dit Eugénie.
    Un homme chantait en s’accompagnant sur une balalaïka. Une paysanne, coiffée d’un fichu écarlate, dansait devant lui et poussait parfois de petits cris aigus. Des pluies de feuilles mortes tombaient des cintres. Tania serrait les mains l’une contre l’autre : « Je n’irai pas. Il ne faut pas que j’aille. D’ailleurs, j’ai un bouton sur la joue gauche… »
    Tandis que le rideau baissait, elle se dressa et dit :
    — Excuse-moi…
    Elle s’éloigna rapidement, la tête haute, la démarche raide, avec, sur son visage, une expression fixe de somnambule. Le hall était vide. Sur le tapis rouge traînaient des programmes déchirés, des tortillons de papier argenté qui avaient servi à envelopper des bonbons. À travers les portes capitonnées, passaient des bouffées de musique et de voix. Tania porta la main à sa poitrine, comme pour l’empêcher de battre. Une silhouette sombre se détacha d’une colonne et s’avança vers elle.
    — Merci d’être venue, dit Volodia.
    Elle balbutia :
    — C’est une folie ! On peut nous voir. Tout le monde nous connaît ici…
    Il paraissait odieusement sûr de lui, inaltérable de vêtement et de figure :
    — J’ai tout prévu. Nous allons sortir.
    — Non.
    — J’ai emprunté l’auto d’un ami pour ce soir. Elle attend devant la porte. Nous nous arrêterons dans une rue tranquille. Nous bavarderons quelques minutes, et je vous ramènerai au théâtre.
    — Vous n’y pensez pas !
    — Mais si, j’y pense…
    Il souriait, le front penché, les yeux pleins de lumière verte… Puis, il cessa de sourire et dit d’une voix humble :
    — Je vous en supplie, Tania. C’est la dernière grâce que je vous demanderai.
    Une énorme pitié emplit le cœur de Tania. Elle plaignait Volodia, Michel, le monde entier. Elle était bonne.
    — Décidez-vous, dit Volodia.
    — Eh bien, allons, dit-elle.
    En passant, elle prit au vestiaire son lourd manteau de vison et le jeta sur ses épaules, sans enfiler les manches. Volodia l’entraîna jusqu’à l’auto, s’installa à côté d’elle sur le siège arrière et recouvrit ses jambes avec un plaid. Le chauffeur ne tournait pas la tête. Il devait avoir reçu des consignes précises. La voiture démarra doucement, vira sur la droite et s’enfonça dans une petite rue paisible, matelassée de neige.
    Au bout d’un moment, Volodia frappa à la vitre qui le séparait du conducteur, et la voiture ralentit, s’arrêta sous la clarté glauque d’un bec de gaz.
    — Ici, nous serons bien pour parler, dit-il.
    Dans la pénombre, ses yeux brillaient d’un éclat pur et cruel. Un reflet froid coulait sur sa longue joue soigneusement rasée, dessinait la courbe des lèvres un peu féminines, argentait les poils soyeux des moustaches. Il était beau. Il était fort. Il était sûr de vaincre. Tania éprouva à travers tout son corps un mouvement flasque et voluptueux de déroute. Ce n’était pas elle qui était assise auprès de Volodia, mais une autre femme, une inconnue. Les gestes et les mots de cette inconnue n’engageaient pas la responsabilité de Tania. Elle murmura :
    — Eh bien, parlez vite. Que voulez-vous de moi ?
    — L’impossible.
    Elle le considéra avec surprise :
    — Je ne vous comprends pas.
    — Si, vous me comprenez. Ah ! Tania, je sais que tout est contre moi. Je sais que j’ai eu tort de vous aimer, tort de tromper Michel, tort de partir, tort

Weitere Kostenlose Bücher