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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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avait mal au ventre. Son corset la serrait trop à la taille. Un petit bouton déparait sa joue gauche. Sa robe du soir, en velours noir et lamé argent, était coupée en dépit du bon sens. Au moindre mouvement, un grand pli oblique se formait dans le dos. Mais cela n’avait pas d’importance. Elle ne voulait plaire à personne. Elle n’était venue à La  Sauterelle  que sur l’insistance de sa sœur. Tout de même, elle eût préféré être séduisante pour signifier à Volodia qu’il devait renoncer à elle. Quand les lampes se rallumèrent pour l’entracte, elle faillit pleurer.
    — Allons dans le hall. Nous regarderons les toilettes, dit Eugénie.
    Mais elle vit Volodia qui s’avançait entre les travées de bancs et de tables, s’inclinait devant des amis communs, baisait une main, tapotait une épaule ; et, de nouveau, une hâte fébrile s’empara de son corps. Elle ouvrait et refermait son éventail de nacre. Sa gorge était sèche. Enfin, elle chuchota :
    — Eh bien, allons-y, dans ce hall, puisque tu y tiens !
    Dans le hall du théâtre, la cohue et le bruit étaient tels que Tania voulut battre en retraite. Des messieurs en habits, des dames en robes décolletées, des officiers étincelants s’épanouissaient entre les quatre murs avec une suffisance rieuse. Tania détesta leur élégance et leur joie. Elle en avait le droit puisque son mari était à la guerre. Pendant que tous ceux-ci, bien nourris, normalement habillés, sûrs de leurs lendemains, échangeaient des propos aimables, Michel, taché de boue, transi de froid, risquait la mort au cours d’une embuscade nocturne. En cet instant même, les balles sifflaient à ses oreilles, les coups d’une mitrailleuse hachaient la terre autour de lui. Et, soudain… Non, elle refusait d’imaginer le pire. Sa figure était lourde sous le fard. À côté d’elle, un gros colonel rubicond éclata de rire :
    — Mais non, mon cher, l’opération de Lodz ne peut pas se terminer par une victoire russe. Nos positions sur la Bzoura sont intenables. Que l’aile gauche allemande passe la Vistule, et tout notre système défensif, pris à revers, sera désorganisé…
    — Moi, dit une jeune femme scintillante de bijoux, j’ai entendu raconter que nos cosaques terrifiaient les Allemands ! Les charges de cavalerie…
    — La cavalerie ne gagne pas les guerres, adorable princesse. De mon temps…
    — N’est-ce pas, que Liouba Diaz était ravissante en Cléopâtre ?
    Tania s’appuya au mur, et la fraîcheur de la cloison, sur ses épaules nues, lui fut agréable. Michel était responsable de son propre malheur. Personne ne l’obligeait à partir. Si : elle, elle seule… Pourquoi ne lui avait-il pas pardonné ? Elle lui aurait voué une telle gratitude pour le moindre signe de confiance ! Elle serait devenue sa servante, son esclave ! De lettre en lettre, elle espérait encore qu’il reviendrait à des sentiments plus humains. Elle était trop petite, trop débile, trop molle pour continuer à vivre dans le vide glacé où l’avait plongée son absence. Elle avait besoin de tendresse, de conseils, d’admiration. Ne le savait-il pas ? Ou faisait-il exprès d’entretenir sa détresse, par rancune, par méchanceté ? Volodia, lui, n’était pas méchant. Il était sensuel et faible, comme elle. Il comprenait tout. Il excusait tout. Elle le chercha des yeux, parmi la foule. Mais, déjà, quelques amis s’approchaient d’elle, et il fallait tendre la main, sourire.
    — Votre mari va bien ?… Avez-vous de ses nouvelles ?… Le tableau de Cléopâtre était d’une audace !… Le public ne se plaindra pas… Il paraît que le comte Keller…
    — La retraite d’Hindenburg est une manœuvre diabolique !
    — Avez-vous lu le dernier article de Malinoff ?
    Tania tendit les épaules et devina aussitôt que le faux pli s’allongeait dans le dos de sa robe. C’était agaçant. Dès demain, elle signalerait ce défaut à la couturière. Elle avait hâte soudain que l’entracte se terminât. Volodia se trouvait sûrement dans les coulisses. Elle ne le verrait pas. Quelle chance !
    — Si nous rentrions dans la salle, dit-elle en se tournant vers Eugénie Smirnoff. On étouffe, ici…
    Subitement, elle se tut et se sentit devenir pesante et douce. Volodia s’inclinait devant

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