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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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Tania.
    — Je ne sais pas. Il a l’air triste, barinia…
    Le malaise de Tania croissait de seconde en seconde. Une peur panique l’étreignait, contre laquelle elle ne pouvait rien. Incapable de se raisonner, elle chuchota :
    — C’est bon, dis-lui de venir.
    Dès que Kisiakoff parut devant elle, Tania se sentit rassurée. Il souriait largement dans sa barbe, et son regard était malicieux. Courbant sa haute taille, il baisa la main de la jeune femme et se redressa avec un soupir.
    — Vous avez des nouvelles de Nicolas ? dit-elle. J’ai reçu une lettre de lui avant-hier…
    Kisiakoff secoua la tête et prononça avec componction :
    — Je n’ai aucune nouvelle de votre frère.
    — Mais vous avez dit… ?
    — Prétexte ! répondit Kisiakoff en joignant les doigts au niveau de sa barbe. Innocent prétexte. Il fallait un prénom pour m’ouvrir votre porte. J’ai choisi celui-là.
    — Vous ne venez donc pas pour me parler de Nicolas ? demanda Tania, suffoquée de colère.
    — Hélas ! non !
    — Et de qui donc ?
    — De Volodia.
    — Dans ce cas, faites-moi la grâce de vous retirer.
    Boris s’était approché de sa mère et lui avait pris la main. Ses prunelles craintives examinaient Kisiakoff à la dérobée.
    — Charmant bambin, dit Kisiakoff. C’est votre fils ?
    — Oui, dit Tania. Et maintenant, laissez-moi.
    Kisiakoff fourra un doigt dans sa bouche et le sortit brusquement avec un bruit de détonation :
    — Boum !
    L’enfant se mit à rire.
    — Il ressemble à son père, dit Kisiakoff.
    — Partez, dit Tania.
    Mais Kisiakoff ne bougeait pas. Profitant du silence, il s’enracinait lourdement dans la pièce. Ses pieds devenaient de plomb. On ne pouvait plus remuer cette masse. Subitement, Tania eut l’impression qu’il était chez lui et que c’était elle l’intruse.
    — Pauvre Volodia ! dit Kisiakoff. Je me demande parfois s’il n’eût pas été préférable pour lui de mourir. Un si joli garçon ! Et le voici défiguré pour le restant de ses jours… Oh ! il a été bien soigné… Mais tout de même… Si vous aviez vu sa plaie…
    Une révolte violente et vague souleva Tania. Elle balbutia en détournant les yeux :
    — À qui la faute ?
    — Mais à vous, à vous seule, honorable Tatiana Constantinovna, dit Kisiakoff en effilant la pointe de sa barbe entre le pouce et l’index.
    Il avait une voix chaude, veloutée, qui attaquait les mots avec précision. Tania frémit comme si l’on avait glissé un objet visqueux dans sa main. Du fond de sa gorge, montèrent des paroles faibles :
    — Ce n’est pas vrai… Vous ne le pensez pas vous-même…
    — Les faits sont là, reprit Kisiakoff. Ce jeune homme a tenté de se suicider par amour pour vous. Maintenant, il est borgne…
    — Borgne ! Borgne ! répéta Boris.
    — Oh ! la sensibilité exquise des enfants ! dit Kisiakoff en tapotant la joue du garçon.
    — Va-t’en, Boris, murmura Tania. Il est l’heure de dîner. Ta nounou doit te laver les mains.
    Boris fit la moue et tapa du pied.
    — Veux-tu m’obéir ? s’écria Tania avec une irritation injuste.
    Boris posa sur elle un regard étonné. Honteuse de son emportement, Tania le baisa sur le front et le poussa vers la porte en marmonnant :
    — Va, mon petit, va… Je passerai te bénir et te border tout à l’heure…
    Lorsqu’elle revint à Kisiakoff, il était assis dans la bergère, les jambes écartées, les mains sur les genoux.
    — Qui pourrait remplacer une mère ? dit-il. Cette douceur, cette compréhension… Volodia n’a plus de mère…
    Un vertige se leva du tapis bariolé, avança vers Tania, ses brumes et ses couleurs étagées en spirales.
    — Où voulez-vous en venir ? demanda-t-elle.
    — À ceci, dit Kisiakoff. Je sais par cœur les détails de votre liaison, de votre rupture, de votre rencontre à l’hôpital, de votre promenade en auto…
    — Il a osé ?… dit-elle d’une voix serrée.
    — On ose beaucoup lorsqu’on est malheureux. Oui, il osé. Il s’est déboutonné devant moi. Il a baissé sa culotte. Et j’ai compris qu’il était vraiment à plaindre. Alors, comme je suis bon bougre, j’ai tenté de le secourir. Je me suis installé à son domicile pour qu’il ne soit pas seul. J’ai dédaigné ma propre vie pour orner la sienne. Mais une urgence de

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