Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
Vom Netzwerk:
sortir.
    D’un geste vif, Marie Ossipovna saisit la feuille de papier sur la table et la déchira en morceaux.
    — C’est bien, dit-elle, je m’en vais. Et je n’écrirai plus jamais à mon fils. Il me croira morte. Ce sera ta faute…
    À ce moment, quelqu’un frappa à la porte. Heureuse de cette diversion, Tania se leva de sa chaise et cria :
    — Entrez.
    Les enfants revenaient de la promenade. Ils coururent vers leur mère avec des rires aigus. Ils étaient rouges, décoiffés. Serge tenait à la main une arbalète en bois blanc :
    — C’est Tchass qui l’a construite. M lle  Fromont lui avait fait un dessin. Je suis Guillaume Tell. Et Boris est mon fils. Nous sommes Suisses tous les deux. Quand papa reviendra de la guerre, je lui montrerai comment je tire de l’arbalète.
    Marie Ossipovna fit mine de cracher par-dessus son épaule et sortit de la pièce en cognant les pieds des meubles avec sa canne. Sur le seuil de la porte, elle se retourna et dit :
    — J’enverrai un télégramme.
    — Pour dire quoi ? demanda Tania.
    — Que Volodia est borgne.
    — Qui est borgne ? Qu’est-ce que c’est : un borgne ? questionna Boris en tiraillant la jupe de Tania.
    — Asseyez-vous près de moi, dit Tania en s’installant dans la bergère, et apportez-moi du papier, un crayon. Nous allons dessiner ensemble. Que voulez-vous que je vous dessine ? Un bateau ?
    — Oui, un bateau, dit Serge, et des marins dessus. Dans le ciel, tu feras un aéroplane. Et, dans l’eau, des poissons.
    — Et un borgne, dit Boris en rattrapant sa salive au bord de la lèvre.
    Serrés contre leur mère, les deux enfants épiaient le crayon qui traçait une ligne tremblante sur le papier à lettres couleur gris perle. Leur souffle tiède effleurait les mains de Tania. Un léger parfum de savon montait de leurs têtes penchées.
    — Dessine des vagues plus hautes, dit Boris. Des vagues qui font peur.
    Tania dessina une vague, en accent circonflexe, sur toute la largeur de la page et demanda :
    — Tu as peur ?
    — Oui, dit Boris avec gravité. C’est bien.
    L’ombre envahissait la pièce, mais Tania ne voulait pas allumer les lampes. Blottie dans la bergère, entre ses deux garçons attentifs, elle éprouvait dans son corps un soulagement heureux. Par les vertus de cette chaleur, de ce crépuscule, de ce silence, elle oubliait peu à peu les raisons de son désarroi. Elle rejoignait l’âge de Serge et de Boris. Elle avait huit ans, quatre ans, et n’existait plus que pour un rêve de bateau à voiles. Lorsque M lle  Fromont vint chercher les enfants, Tania lui demanda de les laisser encore près d’elle.
    — Mais il faut qu’ils se débarbouillent et se préparent avant le dîner, dit M lle  Fromont.
    — Je vous les enverrai dans un quart d’heure, murmura Tania sur un ton fautif.
    Après le départ de M lle  Fromont, elle alluma la lampe et se remit à dessiner avec application.
    — Je vais prendre les crayons de couleur dans ma chambre, dit Serge. Il faut que les marins aient des nez rouges.
    Il quitta la pièce en courant. Longtemps, Tania attendit son retour. Sans doute M lle  Fromont avait-elle happé le gamin au passage et ne le laissait-elle pas revenir. Tania était navrée de ce contretemps. Boris ne regardait plus le dessin et jouait avec les franges de la bergère.
    — Va rejoindre ton frère, dit Tania.
    — Encore un peu, dit Boris, en avançant ses grosses lèvres roses et luisantes. Je suis dans la forêt.
    Il glissait ses doigts à travers les franges et soupirait : « Hou ! hou ! » d’une voix rauque.
    — Tu entends le vent ? demanda-t-il. Tous les bandits se cachent.
    La porte du boudoir était restée ouverte. Le valet de chambre surgit dans l’encadrement du chambranle.
    — Une visite pour vous, barinia, dit-il. Ivan Ivanovitch Kisiakoff voudrait vous voir.
    Tania eut un haut-le-corps et perdit momentanément la parole.
    — Non, dit-elle enfin. Je suis… je suis occupée.
    Le valet de chambre sortit à reculons comme un fantôme courtois. Mais il revint bientôt, le dos fléchi, la figure piteuse. Sûrement, Kisiakoff lui avait offert de l’argent.
    — Eh bien ? dit Tania. Que se passe-t-il ?
    — Ce monsieur insiste beaucoup. Il vous apporte des nouvelles de votre frère, Nicolas Constantinovitch.
    — Quelles nouvelles ? s’écria

Weitere Kostenlose Bücher