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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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heures.
    — N’oublie pas que, demain, tu dois me conduire à Chavli.
    — Demain, il fera jour.
    « J’aurais peut-être dû lui offrir un pourboire », pensa Malinoff.
    L’auto traversa un village vide, aux fenêtres béantes comme des yeux morts. Derrière le village, apparut le ruban mince de la voie ferrée. Les rails s’en allaient d’une coulée luisante vers l’horizon. Très loin encore, un train attendait, figé dans la brume. Malinoff poussa un soupir de soulagement :
    — Ils sont là !
    — Pas pour longtemps, dit le chauffeur.
    À quelque cinq cents pas du train, la voiture rattrapa une formation de dragons, qui trottaient dans la même direction. Le lieutenant qui commandait l’escadron s’approcha en caracolant de l’auto. C’était un jeune garçon, au visage pâle, froissé par la fatigue. Il menait ses hommes aux bains et semblait tout excité par la perspective de cette cérémonie inhabituelle. Lorsqu’il apprit que Malinoff était journaliste, il s’écria :
    — Quelle chance ! Vous allez parler de nous dans les journaux ? Figurez-vous que j’ai un projet !
    L’auto s’était arrêtée. Malinoff passa la tête par la portière :
    — Quel projet ?
    — Voici : j’ai su que le directeur du train-bains est un ancien officier des hussards. Il a quitté l’armée depuis longtemps, avec le grade de cornette, et a fait une belle carrière dans l’administration, puisqu’il est devenu « conseiller privé actuel ». Ayant repris du service depuis la guerre, il porte donc sur ses épaulettes les insignes de cornette, mais, d’après le tableau des hiérarchies, ses fonctions dans le civil l’apparentent officiellement à un général. J’ai prévenu mes hommes de rendre à ce cornette les mêmes honneurs qu’à un général. Il sera étonné.
    — Et alors ?
    — Et alors, en signe de reconnaissance, il nous donnera peut-être du savon et du linge de rechange.
    Le lieutenant éclata de rire, frappa son cheval du plat de la main et alla rejoindre la tête de son escadron.
    La voiture suivit les dragons, à distance. Lorsque Malinoff arriva devant le train, tout l’escadron s’était déjà placé face au convoi, dans un ordre impeccable. Un petit vieillard fragile, en uniforme de cornette, apparut sur le marchepied d’un wagon. Aussitôt, le lieutenant commanda :
    — Garde à vous, sabre au clair, lance en main !
    Les dragons présentèrent les armes au cornette, visiblement ahuri par cette marque de respect intempestive Ayant redressé la taille, il dit d’une voix chevrotante :
    — Bonjour, mes braves.
    — Heureux de servir Votre Excellence ! hurlèrent les dragons.
    Du coup, le directeur des bains parut chanceler de joie. Il était devenu très rouge. S’avançant rapidement vers le lieutenant, il lui serra la main avec effusion.
    Malinoff exultait : ces bonnes gens écrivaient son article pour lui ! Tout y était : la gentillesse virile, l’émotion, la tradition ! Il nota quelques mots dans son calepin et descendit de voiture pour se présenter. Déjà, les dragons avaient mis pied à terre et se rangeaient en file devant les wagons frappés des aigles impériales. Chaque homme portait sous le bras une serviette roulée en tampon. Ils riaient et se bousculaient, hâves, barbus, exténués. Leurs capotes étaient maculées de boue.
    « Les braves garçons ! murmura le directeur en secouant la main de Malinoff. Ils nous sont reconnaissants du moindre soulagement que nous apportons à leurs misères. Dites bien à vos lecteurs que nos trains-bains, organisés par Sa Majesté l’Impératrice, sillonnent toute la ligne du front. Mais nous ne sommes pas assez nombreux pour veiller à l’hygiène de l’armée. Entrez donc, je vais vous faire visiter notre installation. Il y a les étuves, les douches, la buanderie où le linge des soldats est blanchi à la vapeur, une section sanitaire pour soigner les petites blessures. Après le bain, nous distribuons aux hommes du thé chaud et des tartines. Nous faisons de notre mieux… »
    Il prit Malinoff par le bras et l’entraîna vers le wagon. Le lieutenant leur emboîta le pas. Comme Malinoff se hissait sur le marchepied, il lui chuchota à l’oreille :
    — J’ai obtenu ce que je voulais.
    — C’est-à-dire ?
    — Un morceau de savon et du linge de rechange

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