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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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son visage. Il avait froid.
    — Place ! Place !
    Un peloton d’hommes à cheval bouscula Malinoff, et il dégringola dans le fossé. Son bel uniforme était taché de houe. Remontant la pente à quatre pattes, il se jura de repartir aussitôt. « Qu’elle aille au diable, avec son mari et son frère ! Je lui dirai que je ne les ai pas trouvés, voilà tout. » Mais, à ce moment, il aperçut un groupe d’officiers penchés sur une carte, que l’un d’eux protégeait contre la pluie avec le pan de son manteau. Malinoff courut vers eux.
    — Messieurs les officiers, messieurs les officiers ! cria-t-il. Je suis journaliste. L’écrivain Malinoff. C’est pour un renseignement…
    L’un des officiers tourna vers lui son visage fin et méchant :
    — Quoi ? Quel renseignement ?
    — Je cherche le capitaine en second Akim Constantinovitch Arapoff.
    — C’est moi, dit l’officier avec humeur. Et alors ?
    — Oh ! Quelle chance ! s’exclama Malinoff. Figurez-vous que depuis une demi-heure…
    — Dépêchez-vous. Je n’ai pas le temps, dit Akim.
    — Je viens de la part de votre sœur. Étant correspondant de guerre…
    — Vous ne devriez pas être ici, dit Akim. Vous gênez tout le monde.
    — Mais votre sœur…
    La figure d’Akim prit une expression excédée :
    — Dites-lui que tout va bien. Ou plutôt… attendez. Avez-vous un bout de papier ? Je vais lui écrire deux mots que vous lui transmettrez à votre retour.
    Malinoff se fouilla rapidement et tira son calepin de sa poche :
    — C’est mon carnet de notes. Prenez la dernière page. Puis-je savoir également si Michel Alexandrovitch Danoff… ?
    — Il doit être encore de l’autre côté de l’eau, dit Akim en griffonnant quelques lignes au crayon sur le feuillet blanc. Vous n’avez aucune chance de le voir avant la tombée de la nuit. Avez-vous rencontré mon frère Nicolas, à Moscou ?
    — Oui, lorsque je suis parti, il s’apprêtait à rejoindre son régiment.
    — Parfait, dit Akim, et maintenant décampez. Ce n’est pas un salon, ici !
    — Pardon, monsieur, demanda un vieux lieutenant moustachu, aux paupières bouffies, vous rentrez à Moscou ?
    — Oui, dit Malinoff.
    — Me permettez-vous d’écrire aussi dans votre carnet ? Vous arracherez la page et la ferez parvenir à ma femme. Je vous donnerai l’adresse.
    — Mais comment donc ! dit Malinoff.
    Akim tendit le carnet et le crayon au lieutenant, qui le saisit avec des mains fébriles.
    — Elle est inquiète, disait-il. J’aurais voulu…
    Un éclatement brutal emporta la fin de la phrase. Le cerveau de Malinoff sauta dans sa boîte crânienne. Ses mollets faiblirent.
    — Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.
    — Leur artillerie nous a repérés, dit Akim. Il fallait   s’y   attendre.
    Le lieutenant écrivait toujours. Malinoff avait hâte de lui reprendre le carnet et de partir.
    — Vous… vous avez fini ? marmonna-t-il humblement.
    — Une seconde encore, dit le lieutenant, imperturbable.
    Derrière la forêt, palpitait un écran rouge. Un obus explosa sur la berge, et toute la terre fut secouée d’une fondamentale protestation.
    — Vite, vite, dit Malinoff. Il faut vraiment que je m’en aille.
    Subitement, une clameur énorme le faucha, l’aplatit sur le sol, comme un pantin désossé. Lorsqu’il se releva, une fumée âcre flottait autour de lui et lui gonflait la bouche. Un goût de terre était sur ses lèvres. Des frissons convulsifs le parcouraient de la nuque aux talons. Les chevaux hennissaient, pris de panique. Malinoff heurta du pied un corps affalé dans la boue, dont la figure était vernie de sang rouge clair. Instinctivement, il dit :
    — Pardon.
    Des blessés invisibles hurlaient avec des voix de gorets, quelque part, sur la gauche. C’était là que l’obus avait happé. Comme un fou, Malinoff se mit à crier :
    — Monsieur Arapoff ! Monsieur Arapoff !
    La silhouette d’Akim se dressa devant lui, brusque, nette, tel un épouvantail :
    — Quoi ? Foutez le camp !
    — Mais… mais mon carnet, gémit Malinoff en s’accrochant à son bras.
    — Quel carnet ?
    — Mon carnet de notes.
    Le lieutenant moustachu passa en courant.
    — Mon carnet ? répéta Malinoff.
    — J’ai dû le laisser tomber, répondit le lieutenant en s’arrêtant une fraction

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