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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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docteur fût capable d’un pareil effort. Tandis que Siféroff revenait, courbé en deux sous son fardeau, l’homme le frappait avec ses pieds ballants et glapissait d’une voix enragée :
    — Pose-moi à terre ! Puisque je ne veux pas m’en aller ! Pose-moi donc, bourreau !
    D’un mouvement de reins, Siféroff le jeta comme un colis sur le plateau de la voiture. Puis, il escalada son siège et reprit le fouet dans sa main. Il haletait. Des égratignures marquaient sa joue gauche. Nina voulut chercher un mouchoir dans sa poche pour étancher le sang sur la figure du docteur. Mais ses doigts rencontrèrent un papier rigide et elle frissonna. La lettre de son mari. Elle l’avait oubliée. Nerveusement, elle roula le feuillet en boule et le lança loin d’elle.
    — Que Dieu nous aide ! dit Siféroff.
    Il fouetta le cheval, et la charrette repartit en cahotant entre les façades couronnées de fumée et de flammes.

XII
    Le maréchal des logis Stépendieff tira un papier de sa poche et le déplia entre ses gros doigts craquelés.
    — Je t’écoute, dit Akim.
    — Il y en a dix, proclama Stépendieff avec fierté.
    — Cinq suffiront, dit Akim.
    Stépendieff lut solennellement :
    — Ivan Fédotieff, Serge Ignatieff, Michel Danoff…
    — Quoi ?
    — J’ai dit : Michel Danoff.
    — Il a demandé ?
    — Oui.
    — C’est bon, continue.
    Tandis que Stépendieff lisait à haute voix la liste des volontaires, Akim sentait naître en lui une impression désagréable de responsabilité et d’indécision.
    Après s’être retirée à l’est, sur une ligne allant de Riga à Pinsk, l’armée russe tentait de désorganiser les mouvements de l’ennemi qui préparait une nouvelle offensive. Le 13 septembre 1915, les hussards d’Alexandra avaient reçu l’ordre d’attaquer, dès le lendemain matin, les renforts et les colonnes de ravitaillement allemands qui montaient de Boutchany sur Vidzy. Une action de diversion, exécutée par quelques volontaires sur les arrières de Boutchany, devait permettre au gros du régiment de surprendre l’adversaire à sa sortie du village. Lorsque Stépendieff eut fini de lire la liste, Akim dit :
    — Parfait, tu m’enverras le volontaire Danoff.
    — Il est en train d’étriller son cheval, dit Stépendieff.
    — Envoie-le-moi tout de même, dit Akim, et il se plongea dans l’étude d’une carte en lambeaux étalée sur la table.
    Dans la masure basse et sombre, deux ordonnances se disputaient autour du poêle, qui fumait abondamment. De la graisse grésillait dans une casserole. Un parfum de pain frais et de pommes de terre brûlées se mêlait à l’odeur un peu sure des vareuses qui séchaient, les manches écartées, sur un banc, devant le feu. Des poules caquetaient dans la tour. L’une d’elles s’avança jusqu’au pas de la porte, examina Akim avec sévérité et repartit en dodelinant du croupion. Michel pénétra dans la maison, et sa silhouette se détacha un instant, noire et trapue, sur le rectangle ensoleillé qu’encadrait le chambranle.
    — Assieds-toi, dit Akim. J’ai à te parler.
    Lorsque Michel se fut installé à côté de lui, sur le banc, Akim le regarda brutalement, en plein visage, et prononça à mi-voix :
    — Pourquoi t’es-tu proposé comme volontaire pour demain ?
    — Parce que la mission m’intéresse, dit Michel.
    — Tu ne sais même pas de quoi il s’agit.
    — Si j’ai bien compris, il s’agit surtout de risquer sa peau.
    — Et tu tiens à risquer ta peau ?
    — Oui.
    — Pour quelle raison ?
    — Pour des raisons personnelles.
    Akim marqua une seconde d’hésitation et reprit avec vivacité :
    — J’ai besoin de cinq hommes. Vous êtes dix. Je peux choisir sur la liste.
    — J’insiste donc pour que tu retiennes mon nom, dit Michel avec un sourire. Il faut quelqu’un pour commander les cinq hommes. Il est normal que ce soit un engagé volontaire qui dirige de simples hussards.
    — Nullement.
    — Ah ! je croyais…
    — Fédotieff, par exemple…
    — Il ne sait pas lire une carte.
    — Vous n’aurez pas à lire des cartes, s’écria Akim, mais   à vous faire tuer !
    — Encore mieux, dit Michel.
    Akim se tourna brusquement vers les ordonnances :
    — Qu’est-ce que vous foutez là, vous deux ? Sortez, immédiatement.
    Après le départ des deux hommes, il se calma un

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