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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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cognac et des fruits pour le dessert. Comme c’était l’anniversaire d’un cornette, tout le monde but et chanta à sa santé.
    Dehors, retentissait les voix rudes des hussards qui reconnaissaient leurs cantonnements. On relevait les sentinelles. Après le repas, Akim sortit sur le pas de la porte. La nuit était haute et bleue, piquée d’étoiles minuscules. Un immense consentement rayonnait du ciel. « J’ai bien fait d’accepter que Michel soit volontaire », songea Akim. Mais il n’aurait su dire pourquoi.
     
    Ayant mis pied à terre, Michel et ses quatre compagnons attachèrent leurs chevaux aux arbres et s’avancèrent à plat ventre vers la lisière du bois. Au bas d’une pente d’herbe douce, on apercevait les toits de chaume du village. À quelque vingt pas des premières maisons, de part et d’autre de la route, se trouvaient les deux mitrailleuses indiquées sur le croquis. Mais des buissons épais et des monticules de cailloux les dissimulaient encore aux regards.
    Il était six heures du matin. Des nuages d’un rose mourant se diluaient dans le ciel bleu. Un vent frais agitait les feuillages et creusait dans l’herbe de longs sillages sinueux et lustrés. Fédotieff se gratta la tête et demanda :
    — Comment veux-tu que nous arrivions, sans être vus, jusqu’aux mitrailleuses ?
    — L’herbe est haute, dit Ignatieff.
    — Mais ils ont de bons yeux, les vautours !
    — Voici ce que je propose, dit Michel. Ignatieff restera sur place pour garder les chevaux et faire la liaison, Fédotieff rampera à mes côtés. Gavriloff et Mouratoff à trente pas, sur notre gauche. C’est moi qui lancerai la première grenade.
    — Espérons qu’elle éclatera, dit Gavriloff.
    — Pourquoi qu’elle n’éclaterait pas, espèce de lampion ? s’écria Fédotieff. Ce sont des grenades allemandes. Je les ai vérifiées avant de partir.
    Assis par terre, le dos accoté au tronc d’un bouleau, Mouratoff faisait sa prière. Il avait le visage chevalin, de teinte grise, dont la bouche s’effondrait dans un réseau de rides et de poils.
    — Compris ? demanda Michel.
    — Compris, dit Mouratoff.
    Puis, il tira de sa poche une tablette de chocolat et croqua dedans, avec un air de souffrance.
    Dans les profondeurs de la forêt retentirent des pas de chevaux et des bruits de voix étouffés par la distance et le feuillage. Les deux escadrons prenaient position à leur tour. Dépêché par Akim, un hussard écarta les branches des sapins et s’approcha de Michel, à quatre pattes :
    — Nous sommes prêts, dit le hussard. Tu peux y aller.
    — C’est bon, dit Michel.
    Et, soudain, une terreur écrasante l’envahit. Il lui sembla que son sang s’arrêtait de couler dans ses veines. Au-delà de cette mer onduleuse et verte, c’était la mort. Il comprit qu’il n’avancerait pas. Son corps refusait de bouger. Une négation énorme venait de toute sa peau menacée.
    — Alors, on y va ? demanda Fédotieff.
    Au lieu de répondre, Michel considérait une coccinelle rouge à points noirs, qui se balançait sur la pointe d’une herbe. Subitement, sa peur l’abandonna. Il sentit qu’il n’avait pas plus d’importance dans l’ordre du monde que la coccinelle. Cette idée lui parut neuve et encourageante. Une brusque gaieté palpita dans son cœur.
    — En avant ! les gars, murmura-t-il.
    Et il se mit à ramper vers la route. Fédotieff rampait à côté de lui. Plus loin, sur la gauche, Mouratoff et Gavriloff suivaient le mouvement. De la terre montait une odeur sombre et humide. Entre les herbes hautes, Michel voyait luire parfois la joue rose de Fédotieff, ou une main, ou la tige d’une botte. Attentifs à ne pas signaler leur présence par le moindre remous de verdure, les hommes progressaient lentement, épousant du ventre, des cuisses, des avant-bras, la forme irrégulière du sol. Un nuage voila le soleil, et une ombre vaporeuse flotta sur la prairie. Des grives passèrent en se poursuivant, juste au-dessus de Michel. Puis, un papillon jaune vola lourdement et se posa sur un brin de chardon. Michel s’arrêta pour souffler un peu. La distance à parcourir pour atteindre la route était longue encore. Il s’écoulerait bien vingt minutes avant que les volontaires pussent lancer leurs grenades. « Vingt minutes de vie. Vingt minutes d’herbe de soleil, de vent

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