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Le Sac et la cendre

Le Sac et la cendre

Titel: Le Sac et la cendre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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À présent, il distinguait mieux le visage bas et carré de l’Allemand. Une barbe de paille rêche et luisante encadrait ses joues. Des sourcils de paille ombrageaient ses yeux. Il y avait sur cette figure mal éclairée une expression de haine et de peur qui déplut à Michel. « Qu’est-ce que cela fait ? Lui ou un autre. Puisque je veux mourir. Cependant, sa main gauche, inconsciente, rampait dans l’herbe en quête d’une pierre. Il n’y avait pas de pierre. D’ailleurs, il n’avait pas besoin de pierre. Akim lui avait prêté un revolver pour l’expédition. Ce revolver était là, dans l’étui de cuir. Le prendre. En aurait-il la force ?
    Avec des doigts faibles, Michel tâta le cuir de l’étui, dégagea le revolver et le posa sur sa cuisse. À travers la culotte de drap, le froid de l’acier le fit frissonner. Toute sa chair se rétracta. Brusquement, il n’avait plus envie de mourir. Une protestation animale le hérissait au seuil du néant. Quelqu’un, dans son ventre, battait les parois chaudes, appelait au secours.
    Sans doute l’Allemand avait-il vu remuer Michel, car il lâcha ses bottes et empoigna son fusil à deux mains. Il devenait énorme. Sa silhouette bossue cachait le ciel. Les étoiles fuyaient derrière sa tête. La musique s’était tue. Il avait écrasé le miracle sous ses talons pesants. Prudemment, il approchait encore et on entendait la rumeur de ce corps, son souffle rauque, un grincement de cuir. Une nausée dilata les joues de Michel. Ses lèvres se mirent à trembler. Sa main gauche se referma sur la crosse du revolver.
    —  Bist du verwundet  ?   (5)  dit l’homme.
    Le son de cette voix étrangère se prolongea longtemps dans la nuit. Michel vit luire l’éclair oblique d’une baïonnette. Alors, il leva le bras, et, sans viser, tira droit devant lui, en pleine masse. Comme un mur qui s’effondre, l’Allemand chancela, se plia en deux et disparut dans l’herbe. Le ciel prit sa place avec toutes les étoiles.
     
    Le premier visage que Michel aperçut à son réveil fut celui d’un major allemand. Cette face était jaunâtre et plissée comme du lait caillé au soleil. L’homme fumait un cigare. En s’approchant du lit où reposait Michel, il demanda :
    —  Wie geht ’ s  ?  (6)
    Michel le regarda sans comprendre. Il regrettait le boqueteau éclairé par la lueur argentée de la lune, le lièvre aux aguets, la plainte confidentielle du vent. Un mal cuisant irradiait de ses reins, de son épaule. Il chercha des yeux une icône dans cette pièce nue où bourdonnaient des mouches. Mais il n’y avait pas d’icône. Rien que des lits de camp aux couvertures brunes, des profils inconnus, des mots allemands, des fenêtres closes. Alors, il se sentit vraiment privé de sa patrie, abandonné de tous et peut-être de Dieu.

DEUXIÈME PARTIE

I
    — Crois-tu qu’il vaille mieux ajouter un saucisson ou un paquet de bougies ? demanda Zénaïde Vassilievna Arapoff, en désignant la boîte de carton où elle avait accumulé toutes sortes de victuailles.
    Son mari déposa le journal qu’il tenait à la main et se gratta le crâne du bout des doigts, méditativement.
    — Je ne sais pas, moi, grommela-t-il enfin d’un air las.
    — Tu es un homme, Constantin, tu devrais savoir, dit Zénaïde Vassilievna avec reproche.
    — Je n’ai jamais été prisonnier.
    — Ce n’est pas une raison. Tous les hommes connaissent ces choses sans avoir été prisonniers.
    Constantin Kirillovitch hocha la tête et reprit son journal en maugréant :
    — Essaie de mettre et le saucisson et les bougies.
    — Ça ne rentre pas. Il faut choisir.
    — Mets les bougies.
    — Pourquoi pas le saucisson ?
    — Tu as raison : mets le saucisson.
    Zénaïde Vassilievna claqua de la langue en signe de mécontentement.
    — Je ne comprends pas, dit-elle, que tu te désintéresses a ce point d’un paquet qui est destiné à ton gendre.
    De nouveau, Constantin Kirillovitch écarta son journal et considéra sa femme avec une expression de tendresse et de pitié narquoises.
    — Ma pauvre Zina, tu te donnes tant de mal…
    — Il le faut bien.
    — D’après mes renseignements, les prisonniers reçoivent un paquet sur cent qui leur sont envoyés. Tania expédie deux colis par semaine à son mari. Quand il reviendra, nous apprendrons, sans doute, qu’il n’en

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