Le salut du corbeau
village sonna à toute volée, annonçant l’entrée solennelle de l’héritier des d’Augignac dans la chrétienté. Le père Lionel se balançait au bout de la corde comme un gamin ravi.
Chapitre VII
Le jardin d’Adélie
Hiscoutine, printemps 1372
Après le retour de Louis, les serviteurs s’étonnèrent d’entendre le père Lionel s’adresser à lui en le tutoyant et en l’appelant par son nom. Mais ils eurent la discrétion de ne faire semblant de rien. Les confidences de Louis à son père avaient été rares et fortuites. Depuis lors, Lionel se tenait constamment sur le qui-vive, prêt à recueillir le moindre petit fragment de biographie que le bourreau laissait parfois échapper, qu’il en fût conscient ou non. Cela permit au moine de commencer à se faire une ébauche des trop nombreux moments occultés de sa vie. Il se rendait compte qu’il ne connaissait de son fils que les grandes lignes de son cheminement, celles qui avaient un caractère officiel et que de nombreuses personnes avaient pu percevoir.
En premier lieu, Louis ne lui parla que de détails anodins au sujet de son apprentissage à la boulangerie, jusqu’à ce que le nom de Bonnefoy surgît, et par le fait même celui d’Églantine, en même temps que son bonheur à jamais juvénile d’avoir pu savourer avec elle l’exquise clandestinité des échanges charnels. S’il ne parla guère de sa belle-famille, Clémence, Hugues et la bande eurent droit à une mention. Il résuma son angoissante quarantaine lors de l’épidémie de peste en deux phrases hachées, sèches, en cela assez semblables à son parler normal, à cette exception près que des émotions pénibles en altéraient le ton. Pour la première fois, il avoua ouvertement que la peste ne lui avait pas seulement ravi sa femme, mais aussi son enfant encore à naître. Un enfant qui, lui aussi, était demeuré à tout jamais unique.
Lionel grimaça d’affliction. Il n’y avait plus lieu de s’interroger sur la réticence de Louis à divulguer ses souvenirs.
Le soleil couchant éclairait de biais les sillons frais creusés qu’il avait réchauffés tout au long de cette belle journée consacrée aux semailles. Des fauvettes s’étaient réunies dans la rangée de peupliers pour échanger leurs fabliaux qu’elles avaient passé plusieurs jours à mémoriser. L’air doux promettait splendeur sur splendeur pour l’été à venir, et il était si enivrant qu’on y croyait volontiers.
Louis demeura longtemps debout dans le champ, près du soc enfin mis au repos. Il se demanda pourquoi il n’avait pas envie de rentrer. Cela n’avait pourtant été qu’une journée de travail ordinaire. « C’est fou, je me sens comme si c’était le printemps pour la première fois », se dit-il.
Il s’en alla rejoindre Jehanne qui avait insisté pour semer à la volée le contenu d’une besace derrière le soc de la charrue tout au long du jour. Elle alla récupérer Adam emmailloté, encore profondément endormi au creux du sillon tiède qui lui avait servi de ber, et se tourna vers son mari dont la silhouette liliale se découpait dans les rayons obliques du soleil. Jehanne mit une main en visière pour mieux le regarder tandis que son autre bras soutenait le bébé.
— Il me semble que vous êtes de plus en plus séduisant, dit-elle.
— Hein ?
— Quoi, cela vous étonne ?
— À vrai dire, je ne me sens pas tout à fait moi-même. Mais je constate que je ne suis pas le seul à avoir pris trop de soleil aujourd’hui.
— Ah, parce que vous croyez que c’est le soleil !
Jehanne éclata de rire, et ils retournèrent ensemble vers la maison. La coiffe de la jeune femme s’était relâchée et laissait onduler sa chevelure couleur de blé.
La vieille huque* de cariset* de Louis gisait, délaissée, au pied du lit dont les couvertures s’entremêlaient à leurs corps qui s’agrippaient l’un à l’autre et les faisaient onduler en simulant les vagues de la mer. Une tête échevelée en émergea. À l’autre extrémité, une jambe dénudée ressemblait au fragment en cire d’une statue sous la lueur falote du chaleil*. Ce merveilleux naufrage, tout en gémissements, les entraîna jusqu’à un rivage au sable tiède et rose. Et là, à bout de souffle, ils s’abandonnèrent à leur plénitude.
Les mains de Jehanne pouvaient enfin errer à leur guise sur le corps tant convoité de son mari qui se dressait au-dessus d’elle. Louis, frémissant de
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