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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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champ.
    — On bavarde trop. J’aurais un tas de trucs à faire, dit enfin Louis.
    Mais il ne bougea pas de sa place. Jehanne et Lionel échangèrent un sourire de connivence. Tous deux avaient noté l’usage du conditionnel. Le moine dit :
    — Je conçois ton inconfort. Nous venons d’un milieu où l’on ne parlait pas de ces choses-là.
    Adam choisit ce moment pour se réveiller. Il se mit à geindre sans conviction. Jehanne se leva.
    — Il a un peu dépassé son heure. Excusez-moi, dit-elle.
    La jeune mère emporta le bébé à la maison afin de lui donner son boire. Elle avait catégoriquement refusé de confier son alimentation à une nourrice, comme c’était habituellement la coutume chez les nobles, en dépit du fait qu’il y avait au village au moins deux femmes disposées à l’allaiter. Elle avait ensuite dû poliment apaiser un certain nombre d’âmes charitables qui avaient souci de la voir, ce faisant, empêcher la famille, car l’allaitement était un moyen relativement efficace pour éviter de retomber enceinte. C’était Louis qui avait clos la discussion une fois pour toutes en invitant ces gens à aller s’occuper de leur famille, et de laisser la sienne tranquille.
    L’homme en noir suivit son épouse des yeux jusqu’à ce que la porte de l’aile se fût refermée sur la silhouette familière, déjà redevenue gracile.
    Lionel dit doucement :
    — La bonne fille ! Elle a compris que j’avais à aborder avec toi un sujet qui doit rester entre nous.
    Louis tourna à peine la tête et ne dit rien. Lionel reprit donc, courageusement :
    — Cette femme, Desdémone…, qui était-elle, exactement ?
    Louis but son reste de vin et posa son gobelet sur la table pour le remplir sans regarder son père.
    — Rien. Une traînée, dit-il.
    — Je n’en disconviens pas. Mais j’ai appris qu’elle a vécu chez toi… enfin, à la boulangerie, pendant un certain nombre d’années…
    — Clémence l’a prise sous son aile lorsqu’elles ont réussi à échapper aux Pénitents ensemble. Je n’y suis pour rien.
    — Ce n’est pas ce que Desdémone disait…
    — Non ? Et ça vous surprend qu’elle ait menti ?
    Lionel ajouta, comme s’il n’avait pas été interrompu :
    — Elle disait que c’était toi qui les avais sauvés, tous, en dépit du mal qu’elle t’avait fait.
    Louis se redressa et regarda ailleurs. Sans le quitter des yeux, Lionel demanda :
    — Que t’a-t-elle fait, Louis ?
    — Au diable cette folle. J’ai trop bu et ça me fait dire des trucs que je préfère garder pour moi.
    Le moine lui arracha son gobelet des mains et le remplit avant de le lui rendre. Louis le regarda faire, incrédule, et dit :
    — Espèce d’hypocrite.
    — Je ne suis pas hypocrite. Je t’oblige à parler tout à fait ouvertement et d’une façon tout à fait honnête, sans rien te cacher de mes intentions. N’est-ce pas là l’une de tes tactiques d’interrogation ?
    — Ouais. Bon, puisque vous voulez tout savoir… j’étais en train de me laisser mourir quand ils m’ont trouvé. J’avais tout essayé sans succès. Elle était parmi eux. Ils m’ont sauvé, dans un sens. Parce que, du coup, j’ai voulu survivre. La mort venant d’eux m’apparaissait comme une chose infamante. Ils étaient obscènes.
    Lionel lui arracha encore son gobelet des mains. Mais cette fois ce fut pour y boire lui-même. Ce qu’il découvrait de la vie de son fils ressemblait trop à une exécution : tout atroce qu’elle pouvait être à évoquer, elle exerçait sur son auditoire une fascination paradoxale.
    Louis regarda son père et dit :
    — Vous allez me dire qu’elle s’est repentie. Elle m’a même filé de quoi manger à l’insu des gardiens. Mais moi, je m’en fichais. Tout ce que je voulais, c’était me sortir de là. J’ai regretté de ne pas avoir pu l’abattre avant de m’enfuir.
    — Mais elle t’aimait, dit Lionel faiblement.
    — Elle m’aimait ? Elle m’a pris de force.
    — Quoi ?
    — Elle m’a violé.
    Lionel, horrifié, eut un mouvement de recul. Louis fit son espèce de sourire en coin qui lui donnait un air si mauvais.
    — Voilà qui change les choses, n’est-ce pas ? Cela dit, j’admets qu’elle ait pu m’aimer à sa manière. Mais, ce qu’elle m’avait fait, c’était abject. J’étais incapable de le lui pardonner. Parce que ce n’est pas tout.
    À la vue du visage blême de son père, Louis poussa son gobelet dans

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