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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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direction de Sam. Au lieu de quoi, elle sourit à son mari qui les honorait rarement de sa présence lors de ces longues heures d’hiver passées à écouter raconter des histoires. Lionel reprit :
    — Je n’étais qu’un jeune coq imprudent et sûr de son bon droit. Ma vie n’appartenait qu’à moi et il me plaisait de la lui consacrer, à elle. Nous nous apprêtions à partir tous les deux de par le vaste monde. Ma jolie demoiselle était issue d’une famille de bourgeois aussi respectable que la mienne, mais elle avait eu le bonheur de recevoir une éducation plus raffinée que la moyenne des jeunes filles. Ce fut peut-être cela qui lui rendit l’aventure attrayante. Elle voyait plus loin que le bout de son nez et elle se plaisait à échafauder en ma compagnie toutes sortes de rêves, plus saugrenus les uns que les autres.
    Il se tut un instant pour regarder Sam, dont les oreilles rougirent.
    — Les idées coulaient de ma bouche comme cervoise d’un goulot de taverne. Ma belle croyait à mes élucubrations qui étaient aussi emberlificotées qu’un écheveau mal fait. Mais moi aussi, j’y croyais. Malheureusement, d’une façon déraisonnable. Cette arrogance m’a coûté très cher. La chose a fini par s’éventer : j’avais, disait-on, porté atteinte à la réputation d’une pucelle. En outre, cette jeune fille était fort convoitée par plusieurs étudiants dont la parenté était très influente. On se hâta donc de nous séparer. Ils la donnèrent à un autre et j’entrai au cloître.
    — Pourquoi ne vous ont-ils pas laissés ensemble ? Vous auriez pu vous marier.
    — Ce n’était pas dans l’ordre des choses. Mon père trouvait que ma faible constitution ne m’autorisait pas à prendre la relève de son commerce. C’est mon frère qui en a hérité. De toute façon, cela ne m’intéressait pas à l’époque. On me trouvait aussi trop irresponsable pour les affaires et on me croyait incapable d’assumer la charge d’une famille.
    Son doigt suivit lentement l’une des rainures de la table polie à la cire d’abeille.
    — J’ai longtemps maudit la générosité de mes parents envers ma communauté. Je trouvais qu’elle m’emprisonnait. Jusqu’au jour où j’ai admis que sans elle je n’eusse été bon à rien. Je n’étais pas fait pour vivre dans le monde. Moi, je ne voulais que chanter, disaient les gens. Alors, j’offris ma voix à Dieu.
    Son doigt s’arrêta, hésita, tourna en rond autour d’une zone où la rainure avait reçu un coup.
    — Mais Dieu non plus n’en voulut pas. Comment aurais-je pu Lui en faire reproche ? C’est une chose plutôt insultante que celle de se faire offrir un cadeau qui était destiné à un autre. Et ma voix s’éteignit. Pendant très, très longtemps. D’avoir dû renoncer à mon rêve me fit prendre un rôle de moine modèle qui me seyait si bien que je pris un plaisir presque malsain à m’y complaire : je cherchais à appesantir davantage mon fardeau, il fallait que je paie le prix, que je souffre pour tout le mal que j’avais fait aux miens. Je me tus pour ne pas avoir parlé quand il eût été temps de le faire.
    Il soupira.
    — Quand tu es venue, Jeannette, tu ne peux t’imaginer à quel point le désir de chanter, de déclamer, de te chuchoter toutes sortes d’innocentes bêtises m’a tourmenté.
    — Vous auriez dû.
    — Sans doute. Mais, vois-tu, je cherchais sans trêve à expier ma faute. On eût dit qu’il n’existait nulle part de peine assez grave pour moi. Je ne parlai pas davantage lorsque, quelques années avant ta venue, le monastère hébergea pendant un certain temps un garçon qui m’était devenu très proche.
    Il fit une pause et regarda Louis. Cela passa inaperçu.
    — Je n’ai jamais expié. La faute est toujours là et je parle plus que jamais… J’ai un peu trop bu, je crois. Il eût sans doute mieux valu que je fusse demeuré muet.
    — Ça, non ! intervint Jehanne. Pourquoi dites-vous cela ?
    Lionel regarda Louis de la part de qui il attendait une saillie qui ne vint pas. Il répondit :
    — Pour rien. Un moine n’a pas d’identité. Au cloître, j’ai dû revêtir un habit qui ne me convenait pas. Mon nom ne m’allait plus. Néanmoins, j’ai dû les porter tous deux et apprendre à m’y sentir à l’aise.
    — Je ne comprends pas.
    L’index de Lionel quitta la rainure de la table et se mit à errer au hasard sur le bois lisse.
    — Moi non plus. Pas

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