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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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une petite table couverte de parchemins enroulés parmi lesquels se trouvait la déposition du chambellan. Il en répéta le contenu comme une incantation :
    — Jaquet de Rue confirme ici les pernicieuses négociations de mon père avec l’ennemi et son intention de lui livrer Cherbourg. Il a également avoué son objectif de vous faire empoisonner, vous et la famille royale, par le biais d’un jeune médecin de Chypre.
    — Je sais déjà tout cela.
    — Votre mystérieux malaise, sire, cette fistule que vous avez au bras, serait aussi l’œuvre de mon père. Cela daterait d’un banquet d’il y a plus de vingt ans.
    — J’ai aussi pris connaissance de cet aveu.
    — Est-ce la vérité ?
    Le roi se leva et vint rejoindre le prince à la petite table. Il prit le parchemin de sa main valide et fit mine de le relire alors que lui aussi en savait le contenu par cœur. Il répondit, d’une voix douce :
    — Tout ce que je peux vous certifier, monseigneur, c’est que je suis en effet tombé gravement malade peu après ce banquet.
    Le prince baissa la tête et soupira fort. Le coin de l’un des parchemins se souleva. Le roi poursuivit :
    — Cela n’est certes qu’une preuve circonstancielle, mais je compte bien m’en servir. De celle-là et du reste.
    — Que voulez-vous dire ? demanda Charles le Noble en relevant la tête.
    Le roi alla reprendre sa place en tenant un second parchemin couvert d’écriture.
    — C’est l’occasion toute désignée pour avilir à tout jamais ses prétentions au trône de France, sans pour autant le déshonorer davantage qu’il ne l’est déjà. Il existe de nombreuses manières d’empoisonner, cher ami. La cautèle a toujours été celle que votre père maîtrisait le plus admirablement.
    Il brandit le second parchemin comme un pavillon blanc menteur.
    — La déposition de Pierre du Tertre. Toutes les menées du Navarrais y sont consignées à l’exception des tentatives d’homicides. Cela, il a continué à le nier farouchement en dépit des tortures, auxquelles, si je ne m’abuse, vous n’avez pas assisté, cette fois.
    Le prince réprima une grimace de dégoût.
    — Non. Mais peu importe. Mon soutien vous est acquis pour la prise des places fortes que mon père tient encore en Normandie.
    — Soyez-en grandement remercié. Au fait, pour votre gouverne, le chambellan et du Tertre sont tous deux condamnés à mort.
    *
    Paris, le 28 juillet 1378
    La galerie de la tour de Notre-Dame était à présent déserte, tout comme l’était la place de Grève qui s’apaisait dans la lumière déclinante, sous l’œil vigilant de l’hôtel de ville. « C’est fait », se dit Louis en prenant appui contre le garde-fou sur lequel, çà et là, frémissaient au gré du vent quelques détritus échappés plus tôt par les spectateurs qui s’y étaient installés pour assister à la double exécution. L’homme en noir admira la matité des écailles rouges ou noires des toits. Tout en bas, dans une rue où stagnait une fumée sale et où, en saison, un marchand de châtaignes grillées avait jadis installé son auvent, deux bœufs peinaient à tirer un fardier. Des pigeons d’un gris douteux, attirés par les immondices, vinrent voleter autour de l’homme sans trop oser s’en approcher.
    Louis avait été surpris de ne ressentir aucun malaise lorsqu’il avait gravi l’interminable escalier en colimaçon de son enfance. « Eh quoi, n’ai-je pas passé des années de ma vie dans des donjons ? Ça endurcit », se dit-il. Cela l’amena à songer à l’existence immuable d’un bourreau. « Quand les messagers d’un roi cessent de venir, d’autres viennent à leur place. Et nous, on continue à écarteler, brûler et écorcher vifs des gens dont les cris demeurent toujours les mêmes, quelle que soit leur appartenance. »
    L’un des pigeons se posa et se dandina, le cou dressé, jusqu’à une demi-pomme pourrie qu’il entreprit de picorer prudemment.
    « Mais comme il est étrange de se sentir vivre et d’aimer la vie ! C’est à la fois bien et pénible. En tout cas, ça rend le travail plus dur. C’est comme si, chaque fois, c’était la première, mais en pire. Je me demande où je trouve la force de faire comme avant. »
    Louis leva les yeux vers le ciel où, presque au-dessus de lui, un seul petit nuage rose mêlé de lavande se pavanait fièrement. « À l’heure qu’il est, ils doivent eux aussi être assis dehors à regarder

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