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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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à laquelle on pouvait s’attendre de la part d’un noble aussi illustre.
    — Je regrette, dit le bourreau à sa victime.
    Il glissa le quatrième coin entre les planchettes et l’enfonça brutalement. Les os de la jambe compressée implosèrent avec un bruit écœurant qui se perdit dans un hurlement inhumain. Jaquet s’évanouit de nouveau.
    — C’est trop, dit la voix chevrotante d’un conseiller.
    Louis mit plus de temps à ranimer le chambellan avec de petites claques, de l’eau et un peu de tonique. Lorsque Jaquet rouvrit les yeux, la première chose qu’il vit fut le visage sévère de l’ancien favori et son regard qui n’était pas de ce monde. Pétrifié par cette vision, il réalisa pourquoi Charles de Navarre avait voulu Louis auprès de lui. Nul ne pouvait résister à un tel homme.
    — S-suffit.
    La douleur lui donnait la nausée et ses oreilles sifflaient. Il marmonna quelque chose d’inintelligible. Louis se pencha hâtivement.
    — Pardon ? Que demandez-vous ?
    — De l’eau. Je vais parler.
    Le magistrat se leva et dit :
    — Bien. Maître Baillehache, soignez-le du mieux que vous le pouvez et qu’il se repose. Nous serons de retour dans une heure.
    Les conseillers ne se firent pas prier pour vider les lieux. Seul le jeune Charles dit le Noble, le fils de Charles de Navarre, s’attarda derrière pour observer le travail du bourreau. Louis avait détaché le gros chambellan inerte et le transportait dans ses bras jusqu’à la couche qui avait été prévue pour lui. Il n’enleva pas les brodequins de sa jambe rompue. Jaquet de Rue gémissait et, aussitôt qu’il fut étendu, il se redressa pour vomir dans un bassin que Louis avait songé à garder à sa disposition. Tandis que le malheureux faisait de bruyants efforts pour expulser ce qui avait été un copieux repas, le géant tourna la tête et posa sur le prince ces mêmes yeux sombres qui avaient donné le frisson aux autres. Il le salua d’un signe de tête. Charles lui répondit d’un bref sourire et sortit à son tour.
    L’heure passa trop vite au gré de Jaquet. Il se retrouva bientôt de nouveau assis devant les conseillers, sur le tabouret, sans toutefois être entravé. Les brodequins étaient toujours en place, les uns en guise de menace, les autres servant d’éclisses à une bouillie de muscles et d’os éclatés. Son pied violacé avait doublé de volume. Louis se tint à ses côtés.
    — Bien, messire de Rue, nous vous écoutons, dit le magistrat.
    Le greffier avait déjà planté sa plume dans un encrier et la tenait prête au-dessus d’un parchemin blanc. Hésitant, Jaquet commença par dire :
    — Mon roi s’est engagé dans diverses négociations avec les Anglais…
    — Cela, nous le savons déjà. Quoi d’autre ?
    — Il… a pour dessein de leur livrer Cherbourg.
    Louis posa une main encourageante sur l’épaule du chambellan. Il n’y avait aucun moyen de savoir ce qu’il pensait de tout cela. Jaquet de Rue regarda la main de Louis et dit :
    — La main… la main du roi…
    Celle de Louis serra doucement, presque affectueusement. Non, il n’existait aucun moyen de résister à un tel homme. Il ferma les yeux.
    — J’avais pour mandat d’empoisonner le roi de France.
    Des murmures s’élevèrent, que Louis fit taire d’un seul regard. C’était lui qui régentait la maigre assistance, et non le magistrat. Celui-ci parut s’en apercevoir et s’éclaircit la gorge en songeant que tous les bourreaux eussent dû être obligés de porter la cagoule :
    — Expliquez-vous, dit-il.
    — Mon roi a déjà empoisonné le roi de France. À ce banquet de Rouen, il y a plus de vingt ans (71) . Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi il a cette main tout enflée depuis ses jeunes années ? C’est à cause de lui. Charles de Navarre. Il était là. Il l’a enherbé*.
    Les murmures n’en étaient plus. Les voix des conseillers s’entrechoquaient, et Charles le Noble, les joues rouges, protestait plus haut que tous les autres. Jaquet de Rue dit :
    — Il faut comprendre, mon sire. Il est exaspéré par son long malheur. Il s’est efforcé de reprendre par le crime et la ruse ce qui lui a été arraché par la force.
    Il jeta un coup d’œil craintif à Louis, avant de poursuivre :
    — Ceux qui se disent ses amis sont les pires, je l’ai dit… Non, je ne parle pas de vous, bourrel*, mais de sa femme. Elle l’a trompé avec le captal de Buch (72) .
    Charles le Noble

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