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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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remplir le récipient et dit :
    — Je t’avais prévenu que je parlais d’abondance. Mais je puis te garantir que ce n’est pas pour rien. Ne t’en va pas tout de suite. Regarde bien autour de toi.
    — Comment ?
    Pour toute réponse, une main fine d’artiste inclina une chandelle neuve au-dessus de celle qui achevait de s’éteindre en larmoyant sur son bougeoir. Une fois plantée dans le goulot du cruchon de vin vide, elle éclaira avec vivacité l’entourage immédiat de leur goûter improvisé. Soudain, depuis un coin qui avait été jusque-là occulté par la nuit, un visage apparut à une soixantaine de centimètres du sol, parmi les livres. Ce fut le visage lui-même, davantage que l’incongruité de sa présence, qui fit sursauter Sam. Muni de son bougeoir encombrant, l’Écossais s’en approcha avec précaution.
    C’était le portrait de Louis qu’il avait peint des années plus tôt et qu’il lui avait jadis réclamé sans jamais pouvoir l’obtenir malgré l’accord de son supposé propriétaire. Après avoir séjourné un certain temps chez l’abbé, l’œuvre était de retour chez Nicolas Flamel depuis moins d’une semaine. Le portrait avait pris vie à la lueur de la chandelle et l’observait d’un air désapprobateur. Sam s’accroupit craintivement devant lui. Ce ne pouvait pas être vrai. C’était une aberration. Et pourtant, il savait que Nicolas Flamel s’était jadis porté acquéreur de cette œuvre dans le but d’en faire cadeau à l’abbé Antoine. Ce visage détesté que, quoi qu’il fît, Sam était incapable de s’enlever de la tête, voilà qu’il le retrouvait d’une façon inattendue.
    Derrière lui, son hôte s’était levé. Il demanda doucement :
    — Toi qui en es le créateur, dis-moi ce qu’il représente.
    Sam baissa la tête et finit par faire un long signe de dénégation.
    — Je ne le sais pas, dit-il.
    — Si, tu le sais. Il est une histoire, une légende ; legenda, en latin, signifie : ce qui doit être lu. Peut-être t’aidera-t-il à comprendre, à accepter. Peut-être aussi que non.
    — Mais il n’y a rien à y lire.
    — Détrompe-toi. Son âpreté n’est pas la raison de son silence. Il représente la loi du talion : « Œil pour œil, dent pour dent. »
    Les cils cuivrés qui ourlaient les paupières abaissées du visiteur se garnirent de perles. Sam sentait en lui se ranimer les braises de sa révolte.
    — Mais, ce visage-là, ce n’est pas moi qui l’ai créé. Il s’est imposé à moi. Mon désir réel est de le détruire. Je veux occire Baillehache. Un pareil monstre ne mérite pas de vivre.
    — Même si cela implique que, ce faisant, tu acceptes toi aussi de devenir un monstre ?
    L’Écossais dut s’aider d’une gorgée de vin pour faire passer cette remarque. Flamel reprit :
    — Toi qui connais si bien son visage, tu ne sais pourtant que fort peu de chose à son sujet.
    — J’en sais suffisamment pour ne pas avoir envie d’en savoir davantage.
    La moustache du libraire frémit au-dessus d’un faible sourire.
    — La loi du talion est mauvaise, mon garçon. Elle nous porte à chercher vengeance plutôt que réparation.
    — Un tel homme ne comprend guère d’autre loi que celle-là.
    — Mais elle n’a rien réparé pour lui. En conséquence, il faut une autre loi.
    — Celle du plus fort, peut-être ?
    — Ne peux-tu entrevoir une autre possibilité que celle de ta rutilante victoire au terme d’un combat singulier ?
    — Je ne sais pas. Non.
    Les deux braises de la chandelle se communiquèrent aux yeux de l’hôte qui dit :
    — En tant qu’êtres humains, nous n’avons rien de héros, mon garçon. Il est facile d’admirer les héros, car ils n’ont guère de choses en commun avec nous. Pourtant, cela ne rend pas certains de nos actes moins admirables. Nous sommes forts et faibles en alternance. Il y a, dans notre humanité faillible, bien plus de merveilles que dans les fables où le méchant est tué et où le héros incorruptible, avec sa princesse, s’en va vivre heureux jusqu’à la fin de ses jours.
    — Pourquoi ? Pourquoi serait-ce mal de vouloir le bien ?
    — Il n’y a aucun mal à vouloir le bien, allons, au contraire. Mais il faut que tu comprennes qu’en l’homme il ne peut y avoir seulement bien ou mal, noir ou blanc. Notre race humaine produit au contraire une infinité de nuances de gris. Et je ne parle pas des couleurs.
    — Lui, il est aussi noir que

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