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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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la nuit, c’est sûr. Même que ça se voit.
    — Bonaventure affirme que Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Tous, nous nous trouvons à l’intérieur de ce cercle. Il nous englobe, que l’on soit saint ou démon, bon ou mauvais, blanc ou noir. Au sujet de Baillehache, qu’en est-il réellement, mon bon ami ? Es-tu si certain que cet homme-là, tout noir qu’il puisse paraître à nos yeux, soit coupable au regard de l’Éternel ?
    Au milieu de ce fouillis inextricable de livres et de paroles, Sam était consterné.
    — Je ne sais pas, répéta-t-il, rejetant la tête en arrière pour avaler son reste de vin avec une rage qu’il refusait de voir s’atténuer. Il poursuivit d’une voix à peine audible :
    — Elle était ma femme. Et je l’aimais.
    — Je sais.
    — Il ne l’aime pas, elle m’aime, il m’a contraint à partir et vous me demandez de ne rien faire ?
    — C’est difficile, je l’admets. Mais il le faut.
    — J’en ai assez de me faire rebattre les oreilles avec ça. Dites-moi pourquoi. Donnez-moi une bonne raison.
    Flamel répondit, d’une voix émue :
    — Précisément parce que tu l’aimes. Je ne t’oblige en rien, Samuel. Tu es libre. Mais si tu souhaites faire le bien, je te conseille de laisser aller. Regarde plus attentivement ce portrait que tu as peint.
    Sam obéit et haussa les épaules.
    — Il a besoin d’être retravaillé.
    Flamel sourit.
    — C’est vrai. Il n’est pas achevé. Celui qu’il représente est lui aussi en cours de création.
    Sam dit encore :
    — J’aurais dû le représenter tel qu’il est, laid et difforme. Car c’est un monstre au-dedans.
    — Un homme ne peut être monstrueux que s’il a quelque chose en trop ou en moins…
    — Lui, il a le cœur en moins, ça, c’est sûr. Il l’a fait pleurer plus souvent qu’à son tour. Alors, à quoi bon ? À quoi bon se donner la peine de verser de l’eau sur une plante déjà sèche ?
    — Écoute bien ce que j’ai à te dire, car j’y ai longtemps réfléchi. Tout tient en ces quelques mots : il n’existe pas de gens entièrement mauvais, pas plus qu’il n’existe de gens entièrement bons. S’il n’y avait que le bien absolu et le mal absolu, Dieu n’aurait jamais besoin d’être miséricordieux ni de pardonner ; car des êtres totalement mauvais ne se repentiraient pas, ils seraient donc irrémissibles ; quant aux êtres totalement bons, ils n’auraient simplement pas besoin de Son pardon.
    Le jeune homme posa sur Flamel un regard inexpressif.
    — Je ne crois pas être en état de comprendre ce genre d’abstractions-là.
    — D’accord. Ne t’en fais pas avec cela. Et, si je puis te rassurer, le vin n’a rien à y voir : ces mots sont de la science. Autrement dit, ils ont valeur de formule alchimique.
    Immédiatement, l’intérêt du voyageur fut de nouveau émoustillé.
    — C’est vrai ? Répétez-les donc, pour voir, demanda-t-il.
    Souriant, Flamel s’exécuta.
    — Je ne comprends pas plus, dit le jeune homme. Mais comment avez-vous appris ça ?
    — Tu ne me croirais pas si je te le disais.
    — Ah ! J’y repenserai. C’est trop compliqué pour moi en ce moment. Il faudra que j’y repense.
    Les yeux du libraire prirent la même teinte de feu que les flammes des chandelles qui grésillaient.
    — Orgueil et vanité ! Que de peines on peut causer pour prendre soin de ses petits malheurs ! Il nous faut la vie entière pour enfin comprendre.
    Il se pencha en avant et dit tout bas, en appuyant sur chaque mot :
    — Maintenant, je comprends pourquoi le Seigneur semble nous punir durant notre séjour en ce monde. Ce n’est pas là autant Son fait à Lui que le nôtre. Car Lui nous destine à beaucoup plus sublime que nos pauvres misères. C’est beau, d’une beauté atroce.
    L’Écossais but une gorgée de vin et, pour la première fois, il songea de lui-même à tendre le récipient au libraire qui l’oublia dès l’instant où il reposa entre ses mains.
    — Si tu tiens tant à prouver ta valeur, sache qu’un être profondément humain se passe volontiers d’héroïsme ; car souviens-toi bien de ceci…
    D’une voix de prophète qui rappela à Flamel son vieil ami et qui de ce fait éveilla en lui une affection amusée, il récita :
    — « Les derniers jours d’un homme révèlent ce que valaient ses actes. On ne connaît quelqu’un qu’au moment de sa fin (77)

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