Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
le prévenir ? Non ? Donc, ça y est ? Tout le monde est là ? Bien, alors écoutez : nous allons tous entrer dans l’église et y rester jusqu’à nouvel ordre. Nous demandons asile. Il y a tout ce qu’il faut de nourriture, de médecines et de couvertures. Entrez et ne vous préoccupez pas du chapardage dans vos chaumières. Il en va de vos vies. Allez. Le père Lionel vous attend.
    Lionel se chargea d’accueillir tout le monde dans le sanctuaire tandis que Louis, en forçant chacune des portes qu’il laissait béer derrière lui, allait s’assurer qu’il ne restait plus aucun retardataire. Lorsque cela fut fait, il reprit la direction de l’église. Un nuage de poussière s’élevait maintenant, loin à l’horizon, au sud. Il semblait s’étirer vers l’est plutôt que de se rapprocher. « Ils sont beaucoup plus que douze », se dit-il. Il eût été ridicule de dépêcher une force aussi considérable pour soumettre leur minuscule village qui était d’ailleurs déjà soumis. Un détachement de moindre importance avait dû être séparé du corps principal et être dirigé vers eux. Lui ne devait pas produire de nuage. Du moins, pour le moment. Mais il n’y avait aucun doute qu’il allait amplement suffire pour causer des dégâts.
    Même les grillons s’étaient tus. Le nuage bas et tourmenté envahissait peu à peu le ciel. Louis resta seul dans le hameau désert jusqu’au dernier instant. Puis il s’enferma à son tour derrière les portes du sanctuaire.
    Le maître circulait parmi ses gens qui s’étaient installés un peu partout, depuis le fond de la nef jusqu’au devant du chœur. Les transepts étaient, quant à eux, occupés par quelques bêtes. Cette proximité était un peu gênante, d’autant plus que le bourreau se faisait continuellement arrêter par des mains qui lui tiraient la manche et par des étreintes d’enfants.
    — On est avec vous, maître. Dites-nous quoi faire et on le fera, dit un vieil homme.
    — Vous allez rester avec nous, hein ? Ces fripouilles ne nous feront pas mal, hein ? demanda une minuscule fillette.
    Certains de ceux qui étaient plus âgés évoquaient avec force détails leur long séjour dans l’abri souterrain, une quinzaine d’années plus tôt. Dans un coin, une mère qui allaitait son bébé lui sourit. Deux adolescentes commençaient à réunir des légumes pour la soupe communautaire. Tout le monde comptait sur lui. Or, il ne savait pas quoi faire. Le père Lionel non plus, apparemment. Il s’était installé dans les marches du chœur et, le dos tourné à l’autel ainsi qu’à son vieux retable*, il avait commencé un prêche. La plupart des villageois, assis à même le plancher de pierre, s’étaient rassemblés pour l’écouter. C’était une bonne idée : le bénédictin était dans son élément, et cela allait distraire les gens rendus nerveux par la racaille qui s’agitait dehors, sur la placette. Louis resta debout, un peu en retrait : des enfants somnolaient dans les deux luxueuses cathèdres sculptées.
    Le géant avait presque oublié l’effet émollient que pouvaient avoir des prières et des lectures cent fois entendues. Malgré le chaos, cela répandit, comme une berceuse, le calme dans la lourdeur d’arcs romans trapus qui évoquaient davantage une caverne qu’une forêt. La voix de Lionel, toute douce qu’elle fût, s’élevait sous les voûtes noircies. Elle parvint à recouvrir le tumulte qui venait de l’extérieur.
    — Le partage des vêtements du condamné parmi les bourreaux et ses assistants est une tradition qui se pratique encore de nos jours. On n’y prête plus guère attention. Mais moi, j’y perçois ceci : nous qui par nos fautes avons tous été les bourreaux du Christ, nous l’avons dévêtu de son âme qu’il avait belle et pure. Mais il a voulu que les choses se passent ainsi, afin que son âme puisse être partagée entre nous tous.
    Il leva des yeux affligés sur le grand crucifix qu’il révérait. L’antique Jésus aux traits anonymes qui y souffrait depuis des centenaires, vêtu de son seul pagne, avait le visage de tous.
    — On est trop porté à oublier ce que représente réellement la crucifixion. Nous l’associons à Jésus et c’est tout. Or, Jésus a rendu célèbre un châtiment abject que les Romains avaient coutume de réserver aux criminels. La traverse de la croix était posée sur un poteau et l’on clouait l’homme dessus. Cet assemblage était

Weitere Kostenlose Bücher