Le salut du corbeau

pourquoi, elle gardait les yeux rivés sur sa gorge à lui, qui n’était pas même visible derrière l’abri de son haut col raide. Louis dit, d’une voix douce, berçante, persuasive :
    — À moi, cela ne fait pas mal, Jehanne. Je puis continuer ceci aussi longtemps que je le désirerai. Avec mes ongles ou même une étrille. Ou encore en vous pinçant, comme ceci. Pendant aussi longtemps que cela sera nécessaire. J’ai tout mon temps. Mais dites-moi la vérité dès à présent et je promets de vous laisser tranquille. Lâchez-moi. Je viens de vous dire de ne pas me toucher. Dois-je vous punir en plus ?
    — Pardon. Louis…
    — C’est bon. Je vous écoute.
    — La lettre, je l’ai brûlée.
    — Ce n’était donc pas une simple invitation.
    Jehanne ne répondit pas. Le pouce de Louis appuya à divers endroits sur sa gorge et frotta avec vigueur. Étouffée par ses sanglots, elle regarda en direction de la porte close. Louis dit :
    — Personne ne va venir, Jehanne. Ce qui se passe ici ne concerne que nous deux.
    — Je ne voulais pas vous importuner avec cela. Nous avons cru que c’était la meilleure chose à faire…
    — Nous ?…
    — Le père Lionel et moi. Ce n’était qu’une chose insensée.
    — Qui l’a envoyée ?
    Jehanne hésitait encore, et la frayeur se lisait sur son visage. Il repoussa légèrement l’amigaut* fermant le col en dentelle de la chemise de nuit parfumée et recommença à lui donner des chiquenaudes. Elle hurla.
    — Allons, ma femme, cessez de résister. Soyez raisonnable. Ne m’obligez pas à aller torturer le moine en plus.
    Elle finit par poser une main tremblante sur le poignet de l’homme.
    — Je vais vous le dire. Mais, s’il vous plaît, accordez-moi un instant de répit.
    Il y consentit. Au bout d’une minute, Jehanne avoua :
    — C’était Sam.
    Il fronça les sourcils.
    — Je m’en doutais. Encore lui. Toujours lui.
    Jehanne lui divulgua en entier, d’une voix brisée, le contenu de la lettre. Elle lui fit part de l’intention qu’avait eue Sam d’exagérer la portée de certains événements spécifiques du passé de Louis, afin de s’en servir contre lui ; elle lui expliqua également que l’Escot* l’avait invitée à dénoncer les malaises dont il souffrait afin de faire annuler leur mariage. Enfin, elle lui révéla la façon dont la lettre lui était parvenue, sa propre réponse négative, de même que ce qui l’avait motivée à faire disparaître la lettre.
    — Mais ce nouveau refus lui aura peut-être ouvert les yeux, avança-t-elle.
    — Ah, vous croyez cela, vous ? Moi, pas.
    — Ce doit être à cause d’Adam.
    — Je sais.
    La main qui retenait la jeune femme par les cheveux glissa sous sa nuque afin d’en retirer la chemise moite. Il lui souleva la tête afin de glisser dessous l’oreiller frais. Il se leva et ramena un tampon humecté d’eau-de-vie parfumée et d’eau fraîche qu’il lui appliqua sur la gorge afin de l’apaiser.
    — Ouvrez la bouche, dit-il, approchant la chandelle.
    Elle n’osa pas désobéir. Il se pencha à nouveau sur elle et examina soigneusement la bouche de sa femme.
    — Plus grand, dit-il.
    Il lui fit tourner la tête d’un côté, puis de l’autre, et y glissa un doigt. Satisfait de ne pas y apercevoir de sang, il emporta la chandelle derrière le paravent, où il entreprit de retirer ses vêtements et de se rafraîchir. Après quoi il endossa sa chemise de nuit et revint vers le lit. Il éteignit la chandelle d’un souffle et s’étendit auprès de Jehanne. Elle était en larmes. Ce fut elle qui se pelotonna contre lui. Il l’accueillit dans ses bras comme s’il ne s’était rien passé. Elle se laissa consoler, vaincue. « Cette fois, c’en est fait de Sam », se dit-elle avec désespoir.
    *
    Hiscoutine, quelques jours plus tard
    — Allons-nous à la pêche ce matin, Père ?
    Le petit Adam s’était levé de table sans en avoir attendu la permission et avait rejoint Louis à sa place, au grand dam de Jehanne qui s’évertuait à essayer d’inculquer de bonnes manières au garçonnet. L’homme ne lui prêta aucune attention. Il achevait de mâchonner un bout de pain doré. Il ébouriffa les cheveux de l’enfant et jeta un regard en coin à sa femme. Ce fut tout.
    Le père Lionel avait l’air exténué. Il n’avait pas dû dormir de la nuit. Jehanne essaya discrètement d’attirer son attention, mais le moine fut distrait par Thierry qui