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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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bras ou une jambe encore musclés, pleins de vigueur, et d’en sentir les légers tressaillements alors que Louis lui-même essayait de l’aider. Il y parvenait bien un peu, mais au prix d’efforts considérables. Ses membres lui étaient devenus lourds comme du plomb. Lorsque Jehanne le fit se rasseoir, complètement cette fois, il pencha en avant et ne put s’empêcher d’avoir le dos voûté. Son regard redevint inexpressif. Après lui avoir lavé le dos et l’avoir revêtu d’une chemise de nuit propre, elle l’aida à s’allonger de nouveau et appela Thierry et Toinot, tandis qu’elle enduisait d’onguent son poignet écorché qu’elle banda avec soin.
    Le brancard fut transporté jusqu’au lit changé de frais. Toinot et Thierry soulevèrent le bourreau haletant et l’y installèrent, les reins calés contre une pile d’oreillers. Jehanne se chargea de le border amoureusement. Il respirait la bouche ouverte et de la transpiration perlait à son front. Sa femme lui épongea le visage avec un linge humide parfumé. Après de longues minutes pendant lesquelles le silence ne fut meublé que par ce souffle court, épuisant à entendre, Lionel entra dans la chambre. Les autres reculèrent.
    Louis était redevenu un homme. Il reposait sans une plainte, grand, imposant et, même s’il y avait dans son regard cet air traqué des grands malades, quelque chose de digne et de tragique émanait de sa personne.
    — Mon fils, appela Lionel doucement.
    Les yeux de Louis cillèrent. Par un suprême effort de volonté, ils errèrent un peu avant de se poser sur le moine avec cet étrange scintillement semblable à celui d’une étoile lointaine. Lionel s’assit sur le bord du lit et posa la main sur celle, glacée, du malade. Des veines plus foncées qu’auparavant y sinuaient, des phalanges aux poignets. De la rosée perlait aux cils du religieux. Lui qui avait jadis conduit son frère à la mort devait maintenant y accompagner son fils, celui-là même qui avait œuvré au trépas du premier. Comment pouvait-on s’empêcher de voir là une preuve de la justice divine immanente ? Mais comment aussi empêcher le père d’appeler, de crier à la miséricorde, elle aussi divine, au nom de ce fils qui ne le pouvait plus ?
    — Louis, veux-tu prier avec moi pour le salut de ton âme ?
    Ces mots, pourtant cent fois prononcés, comme ils faisaient mal maintenant.
    Le bourreau ferma et rouvrit les yeux.
    — Oui.
    Ils prièrent. Lionel oignit son fils sur les mains, la poitrine et le front. Le géant observait la cérémonie de la même façon qu’il avait observé Jehanne pendant qu’elle lui faisait sa toilette. Cela procurait à Lionel une impression étrange. Louis, ce colosse, cette force de la nature qui, quelques heures plus tôt, était en pleine possession de ses moyens, n’eût pas dû subitement se trouver là, alité et invalide. Il s’agissait d’une erreur, à coup sûr, et Dieu n’allait pas tarder à la corriger. Lionel avait tout à fait conscience que c’était dans cet état d’esprit inapproprié qu’il administrait les derniers sacrements.
    —  Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, exaudi nos, Domine (87) , récitait-il avec, en sourdine, la voix des autres qui s’étaient agenouillés.
    Louis, lui, n’entendait plus que la voix de son père et les palpitations ténues de son cœur. Il se sentait mourir. C’était une sensation curieuse, pas si terrible, après tout. Il l’avait déjà éprouvée une fois et il la reconnaissait. Son terrible savoir faisait aussi en sorte qu’il discernait les premiers signes de l’agonie. Les yeux rivés sur son père, il écoutait son cœur qui ralentissait de plus en plus. On allait bientôt avoir presque le temps de réciter un Pater noster en entier entre chaque battement. Sa respiration aussi allait s’amenuiser. Plus d’une minute et demie allait s’écouler avant que sa poitrine ne se soulève de nouveau. Son malaise s’éloignait, perdait de son acuité. Alors il sut que la fin arrivait. Sa conscience s’apprêtait à se mettre en berne. Bientôt, son esprit allait s’anéantir dans un état végétatif. Les mécanismes complexes qui composaient son être de chair allaient tomber en panne un par un. Les choses se passaient toujours ainsi chez les prisonniers atteints d’un mal fatal. La circulation sanguine aux mains et aux pieds allait s’interrompre. Pendant un instant, dans une dernière et opiniâtre tentative de

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