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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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noueuses de deux grands arbres. La tête entre les mains, il pleurait sans retenue.
    *
    Hiscoutine, le lendemain
    Les domestiques s’étaient retirés dans leur aile avec Adam qui était intenable. Le malade était couché sur un brancard dont s’étaient servis les hommes qui l’avaient transporté jusqu’à la maison. Ils avaient couvert Louis et avaient allumé un bon feu à l’âtre. Comme ils ne savaient que faire d’autre, ils avaient attendu.
    L’évaluation du médecin dura une heure. Après avoir promené son bougeoir horizontalement, puis verticalement à quelques pouces du regard fixe de Louis, il le déposa sur la table. Il se tourna vers les gens du bourreau qu’il invita à rentrer en secouant tristement la tête. Jehanne se mit à sangloter.
    — Autant vous dire, le cœur ne tient plus. Les prochaines heures seront décisives. S’il les franchit, les chances d’amélioration de son état s’accroîtront. Il aura donc grand besoin de vos prières.
    — Nous sommes déjà en train de prier, dit le père Lionel en faisant semblant de ne pas remarquer que le médecin faisait allusion au sacrement de l’extrême-onction.
    — Je le sais bien. Cela dit, je me dois d’admettre que l’exécuteur possède une constitution de fer comme il ne m’a pas souvent été donné d’en voir. Peu d’hommes éprouvés comme lui dépassent la trentaine, et la plupart de ceux qui atteignent quarante ans souffrent habituellement de rhumatismes. Lui, il est encore vigoureux malgré les nombreux sévices subis au cours de sa jeunesse. Non, sans mentir, cet homme était fait pour vivre cent ans. Qui sait donc ce qui peut arriver ? Mais, quoi qu’il advienne à partir de maintenant, mon conseil est qu’il fasse en sorte de s’abstenir dorénavant de tout effort physique. Voyez comme son souffle est court, même au repos.
    — Est-il conscient ? demanda Jehanne.
    Le médecin hésita imperceptiblement.
    — Cela non plus, je ne saurais vous le dire avec certitude. C’est l’autre chose dont je souhaite vous entretenir. Son cerveau est atteint. Sans être en mesure de vous garantir la chose à l’heure actuelle, je le crois victime d’une grave attaque d’apoplexie. Voyant l’incompréhension de ses interlocuteurs, il expliqua :
    — Il s’agit de lésions ou d’épanchements de sang, dans ce cas-ci provoqués par la sévérité de ses malaises. Si tel est le cas, c’est hélas irrémédiable. Il aura perdu toute forme de sentiment et sera incapable de bouger. À cela aussi il peut survivre un mois ou un an, peut-être deux. Mais il peut aussi mourir cette nuit. Soyez forte pour lui, dame. Il en aura grandement besoin.
    Le médecin sortit de sa besace plusieurs fioles et sachets, ainsi qu’un feuillet d’instructions qu’il posa sur la table près de la chandelle.
    — Mettez-le au lit et faites-lui boire des bouillons gras le plus souvent possible. C’est la seule nourriture qu’il pourra assimiler pendant un temps. Je suis désolé.
    — J’aimerais être seule avec lui, dit Jehanne au moine.
    Une fois le médecin sorti en compagnie de Lionel, la jeune femme s’approcha enfin du brancard et s’accroupit aux côtés de son mari pour lui caresser le front. Elle décolla plusieurs mèches de cheveux sales qui pointaient en direction de sa bouche. Il était toujours nu sous le drap dont on l’avait couvert en hâte.
    — Louis, c’est moi. C’est Jehanne. Je suis là.
    La sévérité des traits de Louis était aggravée par sa paralysie. Quelque chose dans ses yeux avait changé. Une sorte de lueur translucide comme celle d’une gemme semblait donner de la profondeur à son regard. Cela n’était peut-être qu’un effet produit par sa maladie, et pourtant il avait toujours l’air aussi vif, intelligent, malgré une certaine imprécision de ses rares mouvements oculaires. Les yeux sombres cherchèrent un instant l’origine de la voix avant de se poser sur elle.
    — Je regrette d’être arrivée trop tard. Je n’aurais jamais dû partir, dit Jehanne.
    Alors qu’elle se mettait de nouveau à pleurer, il ferma les yeux et les rouvrit. Elle s’en aperçut. Elle lui posa une main sur l’épaule.
    — Louis, pouvez-vous m’entendre ?
    Il ne pouvait pas ne pas être lucide. Pas lui. Pas avec ces yeux-là. Mais ses paupières ne cillèrent plus. Son regard resta fixe.
    — Nous allons devoir vous changer d’endroit tout à l’heure. C’est trop froid et dur, par terre.

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