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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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heure, je suis venue vous rendre visite avec le petit miroir, terrorisée à l’idée que votre souffle allait cesser de l’embuer. Je vous ai fait boire un peu chaque jour avec un… avec un tube de gavage. Sans cesse je vous ai supplié de me revenir.
    Songeur, il se demanda combien d’autres fragments de sa vie allaient se mettre à lui échapper de cette façon.
    Doucement, elle l’aida à s’asseoir, fit de même et l’enlaça. L’une des mains du bourreau se souleva sous les couvertures et produisit une petite bosse qui se mit à errer au hasard.
    — Mère ! appela une voix enfantine, péremptoire et ponctuée de coups de pied dans la porte.
    Jehanne se redressa et dit tout bas, en replaçant une mèche qui s’était échappée de sa coiffe :
    — Le pauvre, il n’en peut plus d’être tenu à l’écart. Cela vous ennuie si je le laisse entrer ?
    — Mais non.
    « C’est bien tout le contraire », se dit-il. Jehanne expliqua, en faisant un clin d’œil :
    — Ce cher garçon tient à vous fournir sa part de soins. Laissez-le faire, d’accord ? Il n’est nullement nécessaire de lui dire que le physicien* vous a déjà laissé de la digitale*.
    Louis acquiesça, et son visage s’éclaira d’un sourire complice qui n’alla pas jusqu’à ses lèvres.
    Adam fut introduit dans la chambre. Il s’avança prudemment, le bol fumant qu’il tenait à deux mains lui servant de prétexte pour ne pas poser trop vite les yeux sur son père. Cet instant tant attendu, voilà qu’il le redoutait soudain. Il réalisait que de le regarder enfin allait lui coûter : après l’avoir vu alité et affaibli, il n’allait plus être question de reculer, de tout nier en bloc et de continuer à se persuader que rien n’avait changé. Mais Père malade, c’était une aberration. Les autres tombaient malades, pas lui. Lui, c’était un chêne. Il était fait pour vivre éternellement. Avec tout cela en tête et cette terrifiante détermination qu’ont les enfants à vouloir apprendre, le garçonnet leva sur le lit ses grands yeux gris emplis de compassion. Il continua de s’approcher bravement.
    — Tenez, Père. Je vous ai préparé une infusion.
    Les mains de Louis se mirent à chercher une issue sous l’édredon. Son avant-bras droit émergea, et sa main effleura le bol avant de retomber mollement. Louis regarda ailleurs comme s’il en était humilié.
    — Ça ne fait rien, Père. Je vais vous aider, dit Adam.
    C’était une évidence et il n’y avait plus lieu de s’inquiéter. Les yeux de Louis se posèrent à nouveau sur le visage tout barbouillé de terre, luisant telles deux billes d’hématite.
    Adam souleva le bol jusqu’aux lèvres minces de Père comme une offrande, et Louis, docile, en but tout le contenu avec lenteur. Il avait mal à la gorge. L’enfant lui accordait consciencieusement de fréquentes pauses et ne manquait pas de lui essuyer le menton dès que la moindre gouttelette d’infusion tentait de s’échapper. Il dit :
    — J’ai mis des fleurs tout en haut sur la tombe de Tonnerre. Parce que c’est un ange qui l’a enterré, vous le saviez ? Il lui a fait comme une butte qui ressemble à une petite colline.
    — Non, je ne le savais pas.
    Sam s’était terré dans sa cachette longtemps après le départ des hommes qui avaient démantelé son groupe. Au lever du jour suivant, il était revenu et avait pris le risque d’accéder à la demande de Louis avant de prendre la fuite.
    Louis regarda Jehanne par-dessus la tête bouclée du garçon. « J’étais pourtant capable de parler, tout à l’heure. Pourquoi, là, ça ne veut plus ? » songea-t-il en reniflant. Il essuya une larme du revers d’une main maladroite.
    L’enfant vit cela et grimpa sur le lit. Il serra Père dans ses bras.
    — Moi aussi, j’ai eu beaucoup de chagrin. Mais il est monté au ciel, Tonnerre, c’est sûr, parce que c’était un bon cheval, et les anges aussi ils ont besoin d’un bon cheval.
    L’oreille appuyée contre la vaste poitrine de Père, l’enfant perçut les battements irréguliers du cœur. Il garda un silence horrifié, mouillé de pleurs.
    — Jehanne, appela Louis.
    Mais avant que la jeune mère eût pu récupérer l’enfant, ce dernier se cramponna à lui.
    — Ne me laissez pas, Père !
    De voir le visage sévère de Louis ruisseler de larmes eût suffi à faire sangloter n’importe qui. Il pleurait sans bruit, reniflant à peine, la bouche

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