Le salut du corbeau
Vous serez beaucoup mieux au lit. Mais auparavant je vais vous laver. D’accord ?
Elle espérait qu’il allait émerger, ne fût-ce que pour lui accorder sa permission. Mais il ne fit rien.
Cela allait être difficile, elle le savait. Mais elle savait aussi qu’il préférait la fatigue à la crasse. Il avait toujours été tellement propre de sa personne. De l’eau chaude était déjà préparée. Jehanne apporta un bassin, le nécessaire à raser de son mari, ainsi que tout ce qu’il lui fallait. Et là, dans l’intimité silencieuse de la maison aux volets clos, elle prit place derrière lui, le souleva dans une position à demi assise et entreprit de lui savonner les cheveux. Sa tête pesait lourd sur son bras, mais elle la soutint sans faillir, tandis que ses doigts frottaient le cuir chevelu et la masse de cheveux sombres où, par l’effet de quelque mauvaise plaisanterie de la Providence, aucun fil argenté ne s’était encore manifesté. Les yeux de Louis s’étaient animés et posés sur son visage dès le début de cette toilette. Jehanne se mit à murmurer une foule de petits riens apaisants qu’elle avait naguère réservés à Adam.
Il cligna à nouveau lentement des yeux. Jehanne fit une pause.
— Louis, vous êtes conscient ? Si vous m’entendez, faites-moi un signe. N’importe quel signe.
La bouche de Louis s’entrouvrit. Jehanne attendit. Il ne se passa plus rien. Elle reprit sa tâche en s’efforçant de ne plus songer à la possibilité que celui dont elle prenait soin ne soit plus qu’une effigie creuse du vrai Louis qui, lui, n’était plus. Le père Lionel cogna discrètement à la porte.
— Encore un moment, s’il vous plaît, répondit Jehanne à voix haute.
— Oui, dit Louis d’une voix faible.
Il avait à peine remué les lèvres. Jehanne faillit laisser glisser sa tête. Elle le regarda à nouveau. Son visage demeurait inexpressif.
— Dieu soit loué ! dit-elle, dans un souffle.
Elle se pencha au-dessus de lui et embrassa son front humide. Elle prit ensuite un broc rempli d’eau tiède qu’elle versa sur ses cheveux afin de les rincer. L’eau emporta avec elle la faible mousse sale et coula dans le bassin qu’elle avait posé entre ses jambes.
— Louis, ces malfaiteurs ont été arrêtés par des gardes du bayle*. Comprenez-vous ? Ils les ont emmenés.
Elle s’en voulait de le pousser ainsi, mais Dieu seul savait combien de temps il allait demeurer lucide, si toutefois il l’était vraiment. Il n’y avait aucun moyen de s’en assurer. Elle lui épongea la tête avec une serviette et le poussa un peu pour qu’il pût poser la tête sur l’oreiller frais qu’elle glissa dessous. Après quoi elle prépara le savon du rasage.
— O-oui, murmura Louis.
Il sembla renoncer à essayer de parler. Il ferma les yeux et les rouvrit.
— Ça ne fait rien, dit Jehanne en lui caressant la joue. Ne vous fatiguez pas, mon bien-aimé. J’ai compris.
Elle ne l’avait jamais rasé auparavant. Il avait toujours procédé à sa toilette lui-même. Il demeurait intimidant, immobile comme il l’était, surtout avec ses yeux qui demeuraient braqués sur elle comme ceux d’une statue humaine. Elle cacha le visage dur sous un linge humide. Pendant un moment, elle put voir cette espèce de linceul palpiter sous le nez de son mari, rendant visible sa respiration accélérée, angoissante. C’était insupportable. Sa main crispée arracha le linge après le délai nécessaire. Une mèche de cheveux vola devant les yeux de Louis qui se fermèrent brièvement. Son visage demeurait impassible.
— Pardon, dit-elle.
Jehanne repoussa la mèche avec douceur et se concentra sur le rasage sans dire un mot. Sa main ne tremblait pas. Sans cesser de la fixer des yeux, il se laissa tourner la tête à droite, puis à gauche, et soulever le menton. De temps à autre, une lueur d’angoisse animait son regard.
Elle le baigna ensuite avec une dévotion tendre et soigna ses meurtrissures dont certaines commençaient déjà à s’envenimer. En pénétrant les plaies, l’eau teintée de camomille éveillait un fourmillement familier. Jehanne se pencha pour poser les lèvres sur le tatouage rougeâtre, en forme de hache, qu’il avait au bras. Il se laissa envelopper de son odeur d’herbe coupée et de pétales.
« Je sens les choses, se dit Louis. Si le physicien* se trompe, qu’est-ce que j’ai, alors ? »
Comme il était étrange à Jehanne de soulever un
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