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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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est-il que cette tradition, appelée Yom Kippour, exigeait que la culpabilité collective fût transférée vers un animal que l’on sacrifiait ensuite. Il s’agissait souvent d’un bouc…
    — Un bouc émissaire.
    — Exactement.
    Le père Lionel apporta un tabouret qu’il posa en face de son fils avant de s’y asseoir. Il reprit :
    — À l’époque, le bouc émissaire était réellement un bouc. Il avait pour mission de symboliser tous les péchés commis par le peuple d’Israël au cours de l’année et d’emporter avec lui toutes ces fautes hors de la communauté. L’apogée de cette tradition fut sans contredit l’avènement du Christ. Il est le bouc émissaire le plus illustre et le plus parfait, lui qui est mort pour le salut de tous et, non pas pour une seule année, mais pour toujours. Lui, l’homme bon, sans défaut, acceptant de se donner en sacrifice pour le ramassis de misérables que nous sommes, tel est le principe élevé de l’idéologie chrétienne.
    — Et il s’attendait à ce qu’on soit combien à l’imiter, d’après vous ? Parce que j’ai beau être chrétien, ce principe-là est trop exigeant pour moi.
    — Il l’est pour la plupart d’entre nous, rassure-toi. Je ne crois pas que Jésus s’attendait à ce que nous soyons nombreux à accepter l’immolation pour le bien d’une humanité qui est, de toute façon, beaucoup trop ingrate pour le mériter et pour en éprouver de la reconnaissance. Non. Revenons plutôt à la peinture. Je suis convaincu que certains, comme Samuel, souffriront de la voir, car elle entretiendra chez eux la même culpabilité qui fut celle des témoins réels du sacrifice ; alors que d’autres se verront paralysés par leur incapacité à endosser la responsabilité morale de leur propre conduite. Je me range dans la première catégorie. Samuel se trouve encore, je crois, dans la seconde.
    — Et moi ?
    — C’est justement là que ta présence intervient. Je crois que nous avons mal compris le message de Jésus. C’est l’histoire qui a fait que l’idée que nous en percevons est incomplète. De persécutés qu’ils furent au cours des derniers siècles de l’ère romaine, les chrétiens se sont faits persécuteurs : Juifs, sorciers, hérétiques, païens ont été mis à mal… Je n’arrive pas à me persuader que le Seigneur, qui fut un homme si doux et si compréhensif, ait voulu cela. Il appréhendait sans doute de laisser, en même temps que son message d’amour, des prétextes à des persécutions qui se sont effectivement produites par le fait de notre aveuglement. Et voilà que toi, le bourrel*, l’homme des ténèbres, l’homme dur, qui te tiens à l’opposé de ce qu’il est, lui, voilà que tu te trouves là pour l’aider à transmettre son message.
    — Ouais, c’est ça, et c’est en l’exécutant que je le fais. Expliquez-vous.
    — Jésus était un homme d’une intelligence supérieure. Très jeune, il a vu venir le coup et il a tout prévu. Il savait que son peuple attendait un messie. Mais il savait aussi que le devoir allait lui incomber d’incarner l’agneau sacrificiel, parce que, vois-tu, les fils d’Israël étaient sans cesse tourmentés par leurs conquérants. Il était donc normal qu’ils éprouvent quelque difficulté à se défaire de la mentalité archaïque du bouc émissaire. Ce que Jésus a essayé de faire, c’est de désamorcer la dynamique du sacrifice en se servant de sa force pour la vaincre. Grâce à cette seule expulsion de la violence par la violence, Jésus a rendu le mécanisme obsolète.
    — Bien. Je comprends mieux, maintenant. Mais ça n’explique pas tout.
    — Non, c’est vrai. La plus belle théorie n’arrivera jamais à expliquer de façon rationnelle cet amour qui éclaire son visage. Cet amour que Samuel a si bien su lui faire exprimer, mais qu’il n’arrive pas encore à comprendre lui-même.
    À quelques jours de là, alors que Lambert et Louis œuvraient ensemble au potager et que le géant venait de croquer un petit navet cru tout frais sorti de terre, un frère tourier se présenta au portail dont on venait de sonner la cloche. Les deux jardiniers accroupis, qui se faisaient face, levèrent vaguement les yeux, le temps de se rendre compte qu’on ouvrait au visiteur. Tous deux le regardèrent traverser rapidement la cour en compagnie du tourier pour disparaître entre deux bâtiments.
    — C’est un émissaire du prévôt, fit remarquer

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