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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Louis.
    — Ah bon ? Il ne me semble pas en avoir déjà vu ici. Que nous veut-il, à ton avis ?
    — Je n’en sais rien.
    Ses jambes se fatiguant, Louis changea de position pour se mettre à genoux à même la terre meuble. De jour en jour, il se sentait mieux. Il se sentait même suffisamment rétabli pour apporter aux cuisines son aide professionnelle qui était toujours fort bien accueillie par un moine rubicond aussi large que haut.
    — Ainsi donc, comme tu le disais, il pousse des églantines dans ton jardinet de Caen, dit Lambert.
    — Ouais, répondit Louis en essuyant son navet sur sa poitrine à cause d’un peu de terre qui lui crissait entre les dents.
    — J’aime bien les églantines. Par contre, moi, j’ai toujours préféré les acacias et les fleurs de genêt.
    — Et les roses, tu n’aimes pas ?
    — Si, bien sûr. Qui n’aime pas les roses ?
    — Veuillez m’excuser, frères.
    Un moine très âgé et tout desséché vint se présenter à eux après avoir docilement suivi l’allée. Il s’agissait du père Bernard, le maître des postulants. Louis ramassa sa canne et s’en servit pour se remettre debout. Le vieillard lui dit :
    — L’abbé désire te voir séance tenante, mon fils. Il m’a chargé de t’annoncer l’arrestation, près d’Arcueil, hier à la vêprée*, d’un certain Samuel « Attequesne » qui a été conduit ici même à Paris.
    C’était entre laudes* et prime*, à l’heure où le petit jour commençait tout juste à poindre. L’heure où le père Lionel ne dormait presque jamais.
    Dans l’âtre gigantesque des cuisines, un agneau oublié rôtissait par-dessus les braises. Doré et tiédi sur un flanc, il était charbonneux de l’autre. La pièce était envahie d’une fumée grasse qui prenait au nez.
    Comme une ombre errante, le moine sortit dans la cour. Elle était déserte. Un vague brouillard y remplaçait la fumée. Mais, de là où il se tenait, il put quand même voir la muraille, à l’endroit même que Louis avait dû escalader avec peine pour s’enfuir, à l’aide d’une corde tirée à l’autre bout par quelque complice inconnu, qui était en fait un garde de la prévôté qu’il avait intercepté à la grille du monastère et avec qui il s’était brièvement entretenu l’après-midi même. Lionel regarda longuement les lierres violentés et fut incapable d’appeler Dieu à son secours.
    — Je l’ai vu partir, peu après matines, dit une vieille voix juste derrière lui.
    Il se retourna. C’était l’abbé. Lui avait entendu son appel. Il claudiquait avec difficulté, sans aide, avec pour seul soutien deux béquilles tordues. Il ajouta :
    — Cette fois, mon fils, son choix est définitif. Il ne reviendra plus. Aussi bien t’y faire. Tu sais cela, n’est-ce pas ?
    Le père Lionel opina et baissa la tête, vaincu. Tout avait été dit, tout. Et il avait échoué puisque, en dépit de tout, Louis avait quand même choisi de partir, de renoncer à un bonheur encore tout neuf pour assouvir son inextinguible appétit de vengeance.
    De grosses larmes se mirent à rouler le long des joues du grand moine.
    Il était redevenu muet.
    Caen, mi-octobre 1378
    Ce jour de marché battait son plein, et les commerçants se hâtaient de regarnir leurs étals, tandis que des badauds s’attardaient plus longtemps que d’habitude, sûrement à cause du soleil doré de l’après-midi. Sous un auvent grisâtre que protégeait un encorbellement, un foulon* semblait s’être endormi. Une cage en roseau était suspendue au-dessus de sa tête. Elle contenait un couple d’oiseaux, véritables joyaux ailés probablement importés d’Orient qui, oublieux du monde, bavardaient mélodieusement en se becquetant l’un l’autre. La beauté de leur chant et de leur plumage exotique offrait un violent contraste avec les relents fétides des caniveaux que les passants enjambaient avec précaution. Le bout de la rue était congestionné par un veau qui meuglait plaintivement, réclamant sa mère, alors que le propriétaire de la bête maugréait en la tirant par sa longe. Un petit groupe protestait mollement près de là, tandis que, à l’aide de sa perche, un falotier* accrochait une lanterne colorée au faîte d’un poteau.
    L’un des badauds ne voyait rien de tout cela. Il marchait lentement en regardant droit devant lui. Des gens s’écartaient sur son passage. Il ne les remarquait pas non plus. Certains s’arrêtaient pour le saluer

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