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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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    — Non, répondit-il après un moment de réflexion.
    — En êtes-vous bien sûr, maître ?
    — Je ne veux pas témoigner.
    Les gens présents ne l’apprécièrent que plus encore pour ce qui était peut-être du ressort moral. Il posa les yeux sur sa femme, dont les jupes et le corsage étaient de cette couleur mordorée qui lui seyait à merveille. Les beaux yeux gris de Jehanne s’éclairèrent d’une lueur reconnaissante qu’elle lui destina.
    Le juge reprit :
    — À votre convenance. Cela dit, l’Escot*, ne va pas te croire tiré d’affaire pour autant. Il y a de bonnes raisons pour qu’on se soit donné la peine de te ramener jusqu’ici, sous la juridiction de cette cité.
    Suivit la pénible énumération des crimes qui étaient reprochés à l’inculpé. Cela allait du petit larcin, en passant par l’utilisation d’un détachement d’hommes affectés au service du roi pour son seul profit, jusqu’à la tentative d’homicide.
    — Voilà qui est amplement suffisant pour t’envoyer, au mieux, balancer au bout d’une chevestre* et même pire encore. Qu’as-tu à dire pour ta défense ?
    La seule présence de celle qu’il aimait et, pire encore, celle de sa victime qui avait refusé de témoigner contre lui alors que la chance inespérée lui en avait été offerte contribuait à rendre le poids des méfaits commis plus odieux encore. Sam leva sur l’assistance son regard vert qui, éteint par la honte, s’accrocha à la robe mordorée, au visage aimé serti d’une bisette* délicate. Soudain, le public et les fonctionnaires cessèrent d’exister. Mais le juge, lui, le vrai, celui qui était sa victime, ne disparut pas. La silhouette de Louis persista à travers ses larmes telle une grosse tache d’encre qui s’étalait au bas du parchemin sur lequel sa sentence n’allait pas tarder à être inscrite. Et signée. Il sut tout à coup qu’il n’avait plus envie de combattre cet homme. Plus maintenant.
    — Je n’ai rien à dire. Tout cela est la vérité. Et puis, de toute façon, vous tenez déjà votre verdict.
    Le magistrat jeta un coup d’œil vaguement inquiet à Louis, qui fit un faible signe de dénégation en regardant Jehanne, puis il dit :
    — Les preuves t’accablent en effet, mais je suis malgré cela tout disposé à t’écouter. La justice royale sait, à l’occasion, faire preuve de mansuétude, surtout à l’égard d’un individu dont les talents, à ce qu’on m’a dit, sont fort appréciés à la cour du roi. Il est possible qu’on puisse intercéder en ta faveur et faire en sorte d’amoindrir ta peine. Ne te condamne donc pas toi-même. Au nom de ceux qui te sont chers, je t’en conjure, donne-moi une raison, une seule, de te laisser la vie sauve.
    Sam baissa à nouveau la tête, mais il serra les poings. Il regarda Jehanne. « Elle ne veut plus de moi, se dit-il. Ce n’est plus de l’amour que je vois dans ses yeux, mais de la pitié. Je ne veux pas de ça ! » À voix haute, il proclama :
    — Plutôt mourir comme un traître que d’être épargné par lâcheté et devoir renoncer à ce pour quoi je me suis battu toute ma vie.
    En désespoir de cause, le magistrat s’appuya contre le haut dossier de son fauteuil. Il s’humecta les lèvres et regarda en direction de Louis avant de se redresser, pour annoncer solennellement :
    — Soit. Puisqu’il en est ainsi… Samuel Aitken dit l’Escot*, je te déclare formellement coupable d’adultère, de médisance et du crime très méchant, très abominable et très détestable de haute trahison à l’encontre de Sa Majesté pour avoir attenté aux jours d’un fonctionnaire de la justice royale en la personne de l’exécuteur de Caen, le dénommé maître Baillehache ici présent ; tu t’es en outre octroyé le droit de causer bris et dommages aux habitations du village d’Aspremont qui est sous la garde du même maître Baillehache, en plus d’en saccager les terres environnantes et ce, sous un faux mandat et avec l’aide de certaines gens d’armes royales par toi soudoyées ; et en conséquence, pour réparation, la Cour te condamne à faire amende honorable devant l’église Saint-Sauveur dès demain à tierce*…
    Mais Sam n’écoutait plus. Seuls les sanglots de Jehanne parvenaient à ses oreilles, terribles, lancinants. Pétrifié, il les écouta. « Je suis Orphée et elle, Eurydice (90) , se dit-il, il ne faut pas que je la regarde. » Il n’y avait pas à

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