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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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celui de Lionel, en spectateur dont l’expression trahissait la même souffrance que celle du Christ, puis celui de Louis, humble et compatissant, mais ne pouvant s’empêcher de lever un regard intrigué sur l’homme qui était cloué au-dessus de lui sur la croix du centre ; il se tenait en retrait de l’échelle encore dressée, avec dans les mains un marteau et de gros clous.
    — C’est… très troublant, dit Lionel en jetant un regard vaguement effrayé vers son fils.
    Louis fronçait les sourcils d’un air désapprobateur. Lionel dit, à sa place :
    — Mais Louis n’aime pas.
    — Je le sais, et là est justement le but. Car, vois-tu, il s’agit d’une forme de pénitence que je t’ai infligée, Louis, autant à toi qu’au peintre.
    — Je ne comprends pas, dit Lionel.
    — Voyons, réfléchissez un peu.
    — Vous voulez dire que…
    — Oui. C’est moi qui ai commandé cet ouvrage à un peintre de notre connaissance.
    — Samuel ?
    L’abbé acquiesça de nouveau et dit :
    — C’est lui, davantage que les besoins de notre abbaye, qui m’a incité à commander ce travail. Comme tu le sais, Louis, j’ai eu en ma possession pendant un certain temps une autre œuvre qui te représentait. Sachant depuis longtemps que je devrais un jour la remettre à notre ami commun Nicolas Flamel, j’avais commandé ce tableau-ci pour la remplacer. Je le trouvais plus approprié pour nous. C’est une pénitence pour toi, d’abord parce que tu n’aimes pas être vu sur une image, et encore moins en tant que bourrel* ; mais c’en est surtout une parce que tu détestes celui qui a peint ton visage. Ce fut une pénitence pour Samuel pour la même raison : il a été obligé de te dessiner, toi, l’objet de sa haine, avec une expression touchante. Cependant, jamais je n’eusse cru que les choses étaient pour aller aussi loin. Lorsque Samuel m’a montré la première ébauche de cette œuvre, le bourrel* était représenté comme une caricature sans identité précise ; il grimaçait comme une brute sanguinaire, il détonnait. Je lui ai alors signalé que ça ne convenait pas à une œuvre vouée à la contemplation, que cela dérangeait. Je lui ai donc demandé de retravailler son tableau. Il m’a répondu qu’il allait y réfléchir et revenir plus tard pour y apporter ladite modification sur place. Or, je n’ai plus revu Samuel. Le tableau a donc été relégué au fond d’un placard et j’ai bien cru qu’il allait y rester à jamais, du moins jusqu’à il y a environ deux semaines.
    — Deux semaines ? Vous voulez dire que Samuel est revenu ici ?
    — Quelques jours avant votre arrivée, oui. Seulement, à ce moment-là, j’ignorais encore qu’il était recherché. Je crois qu’il était réticent à nous demander asile. Il a passé une seule nuit à l’hôtellerie et a consacré toute la journée suivante au portrait de Louis qu’il a terminé à la vêprée*. Et il est reparti en douce.
    Lionel s’approcha davantage du portrait et se pencha pour mieux admirer le visage de son fils.
    — Il t’a bien rendu, Louis. Je te vois souvent cet air-là, dit-il avec émotion.
    — Ouais.
    L’abbé Antoine leur sourit depuis son grabat.
    — Vous comprenez, comme de raison, ce qui a motivé la création de cette œuvre ?
    — Je crois que oui, dit Lionel.
    Louis, quant à lui, ne répondit pas.
    — J’avais la certitude que vous comprendriez, Lionel. J’ai commandé cette scène de crucifixion pour l’abbaye ; vous connaissez comme moi l’importance que revêt le sacrifice de notre Sauveur. Pourtant, cette œuvre-ci est davantage qu’une simple représentation de l’événement ; elle symbolise ce à quoi nous aspirons en tant que moines, soit la rencontre avec le Christ ; elle exprime nos questionnements humains, mais en vous faisant intervenir, vous deux, en tant que protagonistes, en plus d’une troisième personne qui est, hélas, invisible. Je parle bien sûr du créateur de cette peinture. J’ai ouï dire que bon nombre de bienfaiteurs posent pour les peintures qu’ils achètent ensuite. Chez les Franciscains, le saint fondateur est souvent représenté parmi les témoins de la crucifixion. On l’y voit en bure, parmi les notables juifs et la populace bergère, pour nous rappeler qu’il y a sans doute vraiment assisté par l’effet de sa contemplation. C’est une belle idée. J’ai toujours trouvé chez vous, vous le savez, une tournure d’esprit

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