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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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très franciscaine.
    — Hugues de Saint-Victor a écrit en 1141 que la contemplation est un moyen simple et clair pour l’âme de pénétrer à l’intérieur de ce qui est regardé. Le but recherché est l’exultation de l’âme dans l’objet de son amour, qui est représenté dans ce qu’on contemple. Cette exultation dépend de la capacité que possède l’âme de se transformer, par un effet de compréhension intuitive d’autrui, dans cet objet.
    — Tout à fait exact. Voilà une des raisons qui justifient l’existence de cet objet-ci.
    — Moi, je saurai le contempler. Mais je ne suis pas certain que Louis en fera autant.
    — Voilà une autre raison, dit Antoine, les yeux rieurs.
    — Vous ne croyez tout de même pas que j’en aurai envie, hein ? J’ai fait ce sale travail toute ma vie. Contempler ce truc-là, moi, ça ne me dit rien. Et en plus c’est mal fichu : les clous, faut les planter dans les poignets, pas dans les mains.
    Lionel baissa la tête, frissonnant. Avant que Louis eût eu le temps de se rendre compte de ce qu’il venait de dire, Antoine répondit :
    — Qu’importe, puisque toi aussi tu as des clous dans les mains, mon fils.
    — Quoi ?
    — Tu es mieux placé que quiconque pour capter son message.
    — Je suis peut-être le dernier des salauds, mais ce n’est pas moi qui ai crucifié Jésus.
    — Tu n’as pas bien saisi le message véhiculé par ce tableau. Regarde-le de plus près, mon fils. C’est tout ce que je puis te dire.
    Boudeur, Louis obéit. Lionel fit de même et étudia avec attention le visage du géant levé vers le Christ supplicié. Et soudain, le moine recula, venant tout juste de remarquer que Jésus, tête inclinée, regardait lui aussi Louis. Un grand amour filial réussissait à transparaître sur ses traits tendus par la souffrance. Mais la présence de sang qui dégouttait le long de ses joues, à cause de la couronne d’épines, faisait en sorte qu’on n’apercevait pas tout de suite ce détail.
    — O Seigneur ! Samuel aurait-il enfin compris cela aussi ? dit Lionel, profondément ému.
    — Parfait. Vous l’avez remarqué.
    — Quoi, qu’avez-vous remarqué ? demanda Louis.
    — Samuel a compris qu’il t’accordait son pardon par sa représentation de la scène, répondit Lionel.
    L’abbé dit :
    — Je dois vous rappeler qu’au départ c’était une espèce de monstre grimaçant que Jésus regardait. Par sa retouche au visage d’un personnage secondaire – l’es-tu vraiment, secondaire, Louis ? –, Samuel a fait de lui et de Jésus le point central de cette peinture. C’est ce qui fait son unicité. Cet échange muet entre le bourrel* et sa victime dépasse de loin le traditionnel pardon accordé au bon larron. Il répond à toutes les questions que se pose l’homme depuis toujours. Il s’appuie d’abord sur le constat navrant que la nature humaine est foncièrement mauvaise pour ensuite transcender cet état avec un ultime geste d’amour que chacun passe sa vie à essayer de comprendre. Maintenant, pour répondre à votre question, je ne crois pas que Samuel, lui, ait capté cela. Il travaillait rapidement, sans réfléchir, si bien que, comme cela survient parfois, l’œuvre va au-delà de ce que souhaitait exprimer son créateur au départ. J’ai atteint mon but avec cette commande.
    Le père Lionel s’avança à son tour pour dire :
    — Il est bon que tu figures sur cette œuvre, Louis. Car, vois-tu, alors que Samuel est encore incapable de t’accorder son pardon, il a su illustrer que Dieu, Lui, t’a déjà accordé le Sien. Dieu s’adresse personnellement à ton âme, sur cette image. Et, à travers ce que Dieu t’y enseigne, Il nous enseigne à tous.
    Le père et le fils eurent amplement de quoi réfléchir pour le reste de la journée. Après avoir pris congé de l’abbé, ils eurent un peu le temps de se retirer au parloir. Alors que Louis abandonnait son brancard laissé là par ses amis pour prendre place dans un fauteuil, Lionel dit :
    — De nombreuses choses sont sous-entendues dans cette peinture, Louis. Il faut d’abord que tu les comprennes. Savais-tu que les fondements de notre foi s’appuient sur une tradition juive très ancienne qui avait cours alors que le temple de Jérusalem était encore debout ?
    — Vraiment ? Pourquoi on persécute les Juifs, alors ?
    — Je n’en sais rien. Il n’y a parfois aucune logique dans certains comportements humains. Toujours

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