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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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aimé ce cheval, vous le savez.
    — Oui, je le sais. Merci de l’avoir enseveli. Puis-je faire autre chose pour toi ? Voulais-tu me parler ?
    Sam leva sur le géant un regard éberlué. Il était pourtant au courant qu’il s’agissait là d’une procédure normale. Il répondit :
    — Qu’aurais-je donc d’autre à dire, moi qui suis à présent décompté ?
    Louis ne dit rien. Il attendit. Peut-être souhaitait-il que Sam lui fit la demande d’une drogue. Mais s’il vint bien près de formuler une telle requête, il se fit un point d’honneur de ne pas succomber à sa faiblesse. Il dit :
    — Déchéance pour déchéance, il eût mieux valu pour moi rester au fond des bois à me balancer au bout de ma chevestre* comme un pantin grotesque, hein ?
    — Peut-être bien. Par contre, ça prend plus de temps.
    — Ouais.
    — À propos, cette chose que je tenais à te dire… je l’ai dite à Jehanne. Tout ceci aurait pu être évité. Maintenant, c’est trop tard, nous n’en aurons plus le temps.
    — Il me reste encore l’espoir d’être demandé en mariage au dernier instant.
    — Tu connais quelqu’un qui le ferait ?
    — Non. Mes humbles talents de conteur sont utiles à tout le monde, sauf à moi. Les femmes que je connais… Non, laissez tomber. À titre de curiosité, quelle était donc cette chose que vous souhaitiez me dire ?
    — Rappelle-toi ce que tu as écrit dans ta lettre : que mon union avec Jehanne aurait pu être annulée par des autorités ecclésiastiques supérieures.
    — Je m’en souviens.
    — Tout aurait été plus rapide si notre aumônier avait détenu ce pouvoir, n’est-ce pas ?
    — En effet.
    — Il ne le détient pas, mais presque. Écoute. Jehanne et moi n’aurions même pas eu besoin de faire annuler notre mariage. J’étais disposé à prendre l’habit et à te laisser l’épouser.
    La fausse humeur badine de Sam se volatilisa aussi brusquement qu’elle était apparue. Il s’effondra. Louis appuya sa canne contre le mur et s’agenouilla près de lui. Il lui donna de petites tapes sur l’épaule.
    — Allez, allez, mon vieux, courage. J’aurais dû me taire.
    — Non, vous n’y êtes pour rien. Tout est de ma faute.
    — Maintenant que tu es condamné, même si je pars, quelqu’un d’autre devra t’exécuter à ma place.
    — Alors, à moi, le chevalier sauveteur de dames en détresse, il ne me reste plus qu’à être sauvé de ma détresse par une dame.
    — C’est cela.
    — J’ai les tripes qui se tordent comme un vulgaire torchon qu’on essore.
    — Je t’envoie Jehanne. Ça va ?
    Au moment où il s’apprêtait à se relever, Sam le retint par le bras.
    — Mon fils. Je ne veux pas que…
    — Rassure-toi, il n’en saura rien.
    — C’est bon.
    Sam ferma les yeux et s’adossa au mur. Il dit :
    — À demain. Je vous reverrai pour mourir.
    Louis reprit sa canne et sortit.
    Dès la fin du court procès, la sentence avait été criée aux quatre coins de la ville. Aussitôt que le soleil commença à descendre vers l’horizon, la place du marché se vida de ses badauds à une vitesse inaccoutumée. Ils s’en allaient refluer place Saint-Sauveur ou devant la prison, désœuvrés, gueulards, inutiles. À l’occasion, quelques rares individus, le bayle* ou l’un de ses gardes, se détachaient de la masse anonyme des curieux pour se faufiler par le portillon entreclos, endeuillé d’avance. Même s’il ne restait plus aux auberges la moindre chambre vacante, même si on avait commencé à monter gargotes et estrades autour de l’échafaud et que, déjà, le moindre balcon avait été loué une fortune, on rechignait à laisser libre cours à la liesse qui, habituellement, précédait une exécution publique, car nombreux étaient ceux qui avaient eu vent de l’histoire de Sam et de ce qui l’avait mené à cette triste conclusion. On se prit de sympathie indifféremment pour le couple illégitime ainsi que pour l’enfant invisible, et pour l’exécuteur dont on avait appris au fil des ans à estimer l’imposante dignité.
    Pour une fois, le promeneur solitaire fut reconnaissant à la populace de sa curiosité morbide qui avait laissé les rues à peu près désertes. Et il n’était pas le seul. Apparemment, Louis aussi appréciait de se retrouver relativement solitaire ; le promeneur l’aperçut, assez loin devant lui, qui suivait une rue tortueuse d’une démarche résolue ne ressemblant en rien à

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