Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
pour s’estomper dans l’ombre de la venelle, tandis que l’archer, tête basse, reprenait la direction de la place Saint-Sauveur. Il aperçut trop tard un bras qui surgit de nulle part pour l’empoigner solidement. Sans avoir eu le temps de pousser un cri, il disparut entre deux maisons.
    — Tu me parais bien soucieux, l’ami. Il ne faudrait pas que tu manques à ton devoir, car celui à qui tu dois épargner des souffrances m’est très cher. Si tu venais en causer un peu avec moi à confesse ? demanda le promeneur dont les prunelles étincelantes, ainsi que le grand couteau (93) qu’il tenait à la gorge de l’archer, n’admettaient aucune discussion.
    Non loin de la place du marché, un moine échevelé dont la coule était froissée et couverte de poussière s’assit au pied d’un gros arbre. Pour la douzième fois ce jour-là, il ouvrit son livre d’heures abîmé. Et pour la douzième fois, il ne parvint pas à lire, car il fut distrait par un corbeau qui prolongeait le cri fêlé d’une mouette. Le livre lui glissa des mains et se referma tout seul. Le moine s’appuya contre le fût constellé de soleil et ferma les yeux. Il se sentait incapable de se préparer à la tâche qui l’attendait : pour la seconde fois de sa vie, il s’apprêtait à accompagner un condamné à mort, un être aimé qui allait être exécuté par son propre fils. « C’est trop me demander, que de mourir deux fois », se dit-il en grelottant.
    À regret, il se leva et se dirigea vers la place Saint-Sauveur en laissant ses pensées errer loin devant. Soudain, il aperçut Louis et Jehanne qui marchaient ensemble.
    Il se prit à songer à la bibliothèque de l’abbaye qui, subitement, lui manquait comme le refuge familier qu’elle était. « Tous ces précieux manuels que je n’ai pas eu le temps de lire et que je ne lirai probablement jamais », se dit-il en regardant tristement la silhouette de son fils qui s’éloignait.
    Les rayons obliques du soleil couchant étaient portés par le vent qui, toute la nuit, allait chantonner devant les volets. De gros nuages répandaient leurs somptueuses soies des Indes safran et mauve pardessus le vitrail turquoise de l’horizon qui s’ourlait de vert pomme. Cette débauche de couleurs donnait au ciel une perspective dont on était porté trop souvent à oublier l’existence.
    Louis n’avait aucune envie de rentrer. Malgré les protestations de son cœur et de ses jambes, il restait planté là, debout, au bord d’un petit champ d’avoine qui en été devait être d’un beau gris-vert velouté que le vent transformait en chose vivante, ondulante comme une de ces étoffes échappées par le ciel. Le vent omniprésent lui caressait les cheveux et asséchait sa sueur. Que pouvait bien représenter un tel crépuscule lorsque, pour un homme, c’était le dernier ? Un adieu ? Une promesse ? La peur de la nuit trop noire et de l’arrivée d’un jour qui allait durer plus que soi ? Il ne s’était jusque-là jamais réellement posé la question.
    Une main serra son bras doucement. Il tourna la tête. C’était Jehanne. Ses traits étaient tirés et elle avait les yeux rouges, mais elle lui sourit.
    — Vous pensez à la même chose que moi ? interrogea-t-elle.
    — Je crois que oui… C’est le plus beau coucher de soleil que j’aie jamais vu.
    — Mais il ne peut pas le voir de sa cellule, dit-elle.
    — C’est aussi bien. Que ferait-il de ce ciel-là ?
    — Je l’ignore. Un dernier fabliau, peut-être.
    Les nuages safran prirent graduellement une vibrante teinte presque écarlate. Certains se brodèrent d’or. L’air lui-même s’était coloré sous l’effet de quelque bénédiction. Un chien aboya quelque part. Des enfants criaient, occupés à terminer une partie de ballon qui ne pouvait être remise au lendemain.
    — Vous êtes debout depuis longtemps, Louis.
    — Je sais.
    — Et vous n’êtes pas fatigué ?
    — Pas trop.
    Il s’en étonnait, d’ailleurs. Ce regain d’énergie ne pouvait être dû qu’à sa petite conversation avec l’archer. Il en avait éprouvé beaucoup de soulagement. Malgré ses jambes qui tremblaient un peu, il se sentait léger, presque insouciant, comme pris d’une légère ivresse.
    Le soleil finit par aller s’éteindre derrière l’horizon. Livrés à eux-mêmes, les nuages incandescents commencèrent à ternir. Jehanne se résolut enfin à demander :
    — N’y a-t-il vraiment rien que l’on

Weitere Kostenlose Bücher