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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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donner l’un à l’autre avec les larmes aux yeux ?
    *
    Coiffé, lavé et rasé de frais, Sam était vêtu de sa chemise de lin du dimanche. Il avait le visage de la même teinte, d’une extrême pâleur. Après avoir entendu la confession du condamné qui s’était clôturée par l’absolution, Lionel se remit debout. Des brins de foin s’accrochaient à sa coule. Il n’en eut nul souci. Un peu plus tôt, le bourreau avait dû trouver les mêmes dans la robe et les cheveux de Jehanne.
    — Mourir à trente ans ! dit Sam. Il m’est ardu de devoir accepter ce sort qui est le mien avant même d’avoir vraiment eu le temps d’apprendre à vivre. Pourtant, malgré tout, j’ai maintenant la conscience en paix, mon père. C’est seulement mon corps qui ne se résout guère à être serein.
    Des bruits de pas dans l’escalier, puis dans le couloir les contraignirent malgré eux à baisser le ton. L’un de ceux qui s’approchaient boitait. Les clefs du geôlier se bousculèrent sur leur anneau alors que la porte, bruyamment déverrouillée, faisait prendre conscience aux deux occupants de la cellule de l’immobilité attentive dans laquelle la nuit les avait laissés. Le geôlier se poussa de côté afin de livrer passage à un garde, ainsi qu’au bourreau qui marchait en s’appuyant d’une main sur sa canne. Le bailli, quant à lui, se tenait sur le pas de la porte et achevait de rouler la levée d’écrou fraîchement signée par Louis. Par cette signature, il devenait responsable du prisonnier ainsi que de la marche à suivre jusqu’à l’exécution. Le garde aussi demeura légèrement en retrait. Seul Louis s’avança. Il posa d’abord les yeux sur son père, qui lui retourna un regard presque suppliant avant de reculer avec lenteur.
    — Je serai là. Je t’aiderai, dit le moine.
    Il songea à l’arc et au carquois qui attendaient, bien cachés dans le clocher de l’église Saint-Sauveur. « Sans Dieu, je ne pourrai pas le faire. Sans moi, Dieu ne le fera (95)  », se dit-il. L’archer engagé par Louis avait été en secret remplacé par un autre qui, lui, avait à cœur de tout mettre en œuvre pour éviter à Sam une horrible agonie.
    — Le Seigneur a dit : «  In manus tuas Domine commendo spiritum meum (96) . »
    Il baissa tristement la tête et croisa les mains devant lui. Louis regarda Sam, dont la conduite à peine défiante s’efforçait de manifester l’aplomb glacial d’un aristocrate. L’exécuteur devina confusément que Sam ne se comportait pas de cette façon pour laisser à la postérité une image de lui qui allait être citée en exemple. Non, il n’était qu’un roturier et les roturiers, eux, avaient le droit de hurler, de se débattre et de se vider. Or, Sam s’avança de lui-même vers Louis sans afficher le moindre signe d’angoisse. Louis dit, en jetant un nouveau coup d’œil au moine qui grelottait :
    — Bon Dieu ! c’est à se demander lequel de vous deux je m’apprête à mener au supplice.
    Lionel leva sur lui un regard étincelant.
    — Ne jure pas, espèce de mécréant !
    Le garde crut bon d’intervenir :
    — Allez, venez, mon père.
    Avec révérence, il raccompagna Lionel à la porte. Le moine releva son capuce et, suivi des autres, il se laissa emmener, tandis que Louis demeurait seul un instant avec Sam.
    — J’essaierai du mieux que je le pourrai de montrer un courage égal au vôtre, dit-il à Louis, qui s’occupait à libérer le condamné de ses chaînes.
    Le bourreau répondit :
    — Le courage n’a rien à y voir.
    — Non. Sans doute que non. Ce doit plutôt être une question d’amour, pas vrai ?
    Les chaînes tombèrent aux pieds de Sam. Louis abaissa les yeux sur le visage de poète si connu, serti de ses deux émeraudes humides.
    — C’est ça, dit-il.
    Sam fut davantage surpris par cette réponse que par le fait que le bourreau ne remplaça pas immédiatement les chaînes par d’autres liens.
    — On y va, dit-il.
    Il le prit par le bras, un peu au-dessus du coude. Ce fut tout. Sam se laissa conduire docilement hors du cachot, puis le long du couloir étroit où un garde les attendait. Ils gravirent les marches de pierre pour émerger rue de Geôle. L’itinéraire ne prévoyait pas l’arrêt habituel sur la place Belle-Croix (97) pour permettre au condamné de se recueillir, ni le retour par la rue aux Fromages que l’on surnommait, pour cette raison, rue Monte-à-Regret. À la demande expresse

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