Le salut du corbeau
m’entretenir seul à seul avec lui. Vous me le permettez ?
— Bien entendu. Je serai là-haut si vous avez besoin de moi.
Les tintements d’un trousseau de clefs suivirent le gardien qui s’éloigna de la porte à nouveau fermée, et le silence flotta un moment au-dessus d’eux avec hésitation, comme un oiseau cherchant un endroit où se poser. Sam dit :
— Ah, mon père, que de gens attentifs gravitent autour de moi ce soir, en attendant l’arrivée du bourrel*. Sa visite s’annonce comme celle du roi dans son palais muni de barreaux. Lui aussi a des serviteurs qui vont au-devant du moindre de ses désirs, et des gardes se tiennent à sa porte. Ils sont tous deux uniques dans le peuple, à cette différence près que le roi est aussi sublime que le bourrel* est vil.
— Mon fils, je t’en conjure, n’en veuille pas à Louis. Il n’est là que pour faire son devoir. Sache te montrer enclin à la patience devant la grande souffrance qui t’attend, car elle est libératrice. Abandonne-toi volontiers à elle et sois assuré qu’une place t’attendra au paradis le jour du Jugement dernier. Rappelle-toi que, puisque tu devras expier dès ici-bas, le Seigneur t’épargnera les flammes du purgatoire (94) …
La voix de Lionel se brisa. Sam parut ne rien remarquer ; il écoutait avec une apparente dévotion, la tête inclinée. Il était loin de se douter qu’en ce moment précis, c’était davantage à lui-même que Lionel destinait ces mots.
— … et tu te nicheras contre la poitrine paternelle d’Abraham…
Il se souvint de la lettre de l’abbé Antoine, qu’il avait gardée sur lui pendant des années telle une relique. Là aussi il était question d’Abraham. « C’est moi qui me confesse à toi et non l’inverse, se dit Lionel. Prendras-tu mon joug, Samuel, afin de le remettre pour moi au Seigneur ? Voilà qui donnerait un but à ton exécution. Voilà qui redresserait ton dos courbé. Tu aurais enfin une cause pour laquelle marcher à ta mort la tête haute. »
N’osant pas verbaliser tout cela, Lionel se disposa à partir. Il annonça qu’il allait être de retour le lendemain avant tierce*, pour entendre sa confession.
— Je n’aurai pas besoin d’aide pour mourir, vous savez, dit Sam. Ça se fera tout seul ou presque.
Il regarda la torche qui venait de lancer une pincée de petites étoiles d’or en direction du plafond noirci. Le moine dit :
— Samuel.
— Je suis là.
Et ils rirent doucement tous les deux.
— Ça me plaît de dire cela depuis que vous nous avez parlé de ce Samuel de la Bible, dit le condamné.
— Eh bien, voilà toujours bien un prêche qui n’aura pas servi à rien.
Le sourire crispé s’effaça sur le visage de Sam aussi rapidement qu’il y était apparu. Il baissa la tête.
— Tu es là, dit encore le moine en se levant.
Il fit mine d’ignorer que Jehanne allait venir passer le reste de la nuit avec lui, à célébrer la vie dans le cachot d’un mort.
Chapitre XIII
Les Hautes-Terres
Sous la lueur de la chandelle, la paille du cachot de Sam produisait une poussière d’or qui refusait de se poser au sol, malgré l’air chargé. On eût dit qu’elle se trouvait là pour enluminer cette dernière nuit d’amour où ils boulaient ensemble sans se faire mal contre le sol rugueux de la geôle. Leurs vêtements épars avaient sonné la retraite des cancrelats.
Sam roula dans la paille et des brins d’or adhérèrent à sa peau nue, l’éveillant à une vie pour laquelle il n’était déjà plus fait. La main de Jehanne lui protégea instinctivement le cœur tandis qu’une chaîne de baisers se prolongeait pour rejoindre son membre érigé.
Leurs cris firent vivre la prison, ils parvinrent jusqu’à la salle des tortures inoccupée qui, attentive au moindre son, en demeura subjuguée.
Leurs cœurs palpitaient à l’unisson. Ils accéléraient, battaient la chamade, un peu comme celui de Louis, mais sans son irrégularité.
— Pourquoi nos cœurs ne s’arrêtent-ils pas d’un commun accord, là, tout de suite, tandis que nous sommes au faîte de notre ultime bonheur ? dit Sam.
— Demander à mourir ainsi ne peut être que le fait d’une existence pleinement vécue, dit Jehanne qui, penchée au-dessus de lui, permettait à sa chevelure libérée de se fondre à l’or de la paille qui n’allait être piétinée que par leurs jeux, leur ultime défi à la mort qui veillait.
Était-il possible de se
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