Le salut du corbeau
de Louis, on allait éviter tout prolongement inutile, et l’exécution allait se passer sur la place du Pilori ou Saint-Sauveur.
Des gens d’armes étaient alignés, lances tendues devant les poitrines de spectateurs aux pieds desquels attendait une claie attelée à un mulet. Encadré de ses deux seuls gardes, Louis l’ayant lâché pour reculer parmi les officiants, Sam parcourut la rue Saint-Pierre et marcha en direction du parvis de l’église Saint-Sauveur sans regarder l’objet une seule fois. Il leva la tête vers l’azur d’octobre à nul autre pareil. Il huma la brise encore fraîche où folâtraient déjà les premières odeurs de cuisine issues des fenêtres basses qui se trouvaient à proximité, annonçant un dîner qui allait se prendre sans lui. Pris d’un violent désir de vivre, Sam haleta.
Une fois devant le porche de l’église, un cierge à la main, le ménestrel fut incapable de faire autre chose que d’ânonner mot pour mot les paroles toutes faites généreusement fournies tout bas par le moine encapuchonné qui se tenait à ses côtés. Personne ne s’était rendu compte que ce moine n’était pas Lionel. Celui-ci avait dû être remplacé pour une raison ou une autre, tandis que l’assistance s’était groupée sur la place. Les rares invectives d’inconnus allèrent se perdre parmi un flot d’appels à la clémence. Dans le grouillant magma de curieux assemblé devant lui, le condamné remarqua Louis qui tentait de s’approcher. Pour la première fois depuis près de vingt-cinq ans, quelques têtes brûlées décidèrent de s’en prendre directement à lui : des détritus explosèrent sur ses épaules et dans son dos.
— Hé, l’Escot* ! cria une femme. Vois un peu le bourrel* qui s’amène ! On dirait qu’il veut prier avec toi, le maudit !
Cela semblait être réellement le cas ; Louis tenait lui aussi un cierge de sa main libre. Sam frémit de cette ultime attention. Alors que le géant échappait son cierge afin de se protéger le visage contre les projectiles, quelqu’un lui fit un croche-patte. Louis disparut parmi un fouillis de jambes qui reculèrent avec dégoût, ce qui n’empêcha pas sa canne d’être fièrement brandie au-dessus des têtes par une main anonyme. Des gardes furent obligés de fendre la foule en hâte pour faire cercle autour du bourreau. Louis put enfin se relever. Il ne réclama pas sa canne.
— Vous auriez dû demeurer avec nous, maître, lui dit un des gardes.
— Ne vous occupez pas de ça. Retournons.
— Lui, la canne, moi, le cœur, souffla Sam, pour s’empêcher d’être trop touché par le geste que Louis avait tenté (98) .
Avec impatience, l’exécuteur se détourna et éloigna d’un coup de poing en pleine figure un gros bourgeois qui se tenait trop près. S’il ne fit qu’attiser l’ire de la populace à son endroit, le geste produisit au moins l’effet de rappeler les citoyens à leur réserve craintive d’antan. On continua à l’injurier, mais on lui lança moins d’ordures et les coups lui furent épargnés.
Sam fut escorté jusqu’à la claie.
— Il n’a pas à se faire pousser, remarqua une femme vieillissante qui se tenait à côté des hommes d’armes et essayait de saper leur sens du devoir à force d’attouchements tentateurs.
Encouragé par ce terrible éloge, Sam fit à la femme un clin d’œil fripon. Il avait reconnu la vieille Bertine Torsemanche.
Des mains l’empoignèrent rudement. Louis se chargea de le coucher et de le ligoter sur la claie. Après quoi, il prit les devants pour conduire le mulet. Il n’était pour l’heure accompagné d’aucun assistant. Seul le moine au visage toujours dissimulé sous l’ombre de son capuce était avec eux, ouvrant un livre usé entre ses mains osseuses. Louis lui fit une dernière recommandation :
— Prenez garde aux pavés.
Le moine acquiesça. Malgré tout, l’exécuteur faisait de son mieux pour adoucir cette pratique humiliante par quelques petits égards.
La procession s’ébranla.
— Chapeaux ! Chapeaux ! criaient des voix dans la foule cruelle qui se dissolvait pour mieux se recomposer plus loin, au gré de l’évolution de la claie sur le chemin menant au supplice, tel un caillot d’humanité maléfique. La voix tremblante, Sam murmura :
— Oui, c’est ça, bande de chacals, bas le chapeau pour mieux me voir, comme au passage de votre roi.
Le moine se pencha afin de soutenir la tête de Sam, car un
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